Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir rédigé cette protestation, afin que la Ferronnays en tirât parti dans ses conversations avec les ministres russes, Decazes traçait à grands traits le tableau des dangers que créait au ministère l’attitude de la Droite.

« Les propos de Pozzo encouragent l’opposition de quelques fous de la Droite, qui menacent de tout perdre si on ne consent pas à tout leur sacrifier, et qui, dans leur haine pour les personnes et leur amour pour le pouvoir, veulent non pas leur salut et celui de la chose publique, mais leur triomphe. Cette opposition ne sera pas nombreuse, j’espère. Si elle l’était, je croirais que, comme les Jacobins sont là, il faudrait lui céder dans cette circonstance et lui sacrifier les hommes pour sauver les choses. C’est vous dire que nous ferons tout pour assurer le succès. C’est vous dire aussi la seule combinaison, je pense, qui pourrait dans ce moment amener quelque changement ministériel, changement qui n’est pas probable et qui n’arriverait, s’il arrivait, qu’autant que le duc de Richelieu changerait de résolution et voudrait accepter et le legs que nous lui ferions et l’appui, le secours entier, complet de tous nos efforts et de tous nos amis. Je vous parle de cette possibilité parce que je veux tout vous dire, et même ce qui, sans être vraisemblable, est possible.

« La maladie de M. de Serre pourrait faire seule, du reste, que la chose le fût. Hier, on nous faisait craindre qu’il fût hors d’état de parler pendant la session. Aujourd’hui, une consultation a eu lieu et les docteurs disent que, vers la fin du mois, nous pourrons compter sur lui. Pris moi-même d’un catarrhe qui ne me permet pas d’aborder la tribune, il nous est impossible de songer à aborder une discussion où le baron Pasquier serait seul. Le projet de loi a d’ailleurs des dispositions, comme le double vote, que M. de Serre peut seul défendre convenablement, parce qu’il les a conçues, méditées, et qu’il est préparé dès longtemps. C’est la partie la plus chanceuse de la loi, parce qu’elle s’éloigne le plus des idées ordinaires et de ce qui a été jusqu’à ce jour. Je n’aurais jamais songé à proposer ce moyen, si la confiance qu’il y mettait ne m’y avait encouragé, et comme mes collègues ont les mêmes impressions que moi, il est probable que notre projet subirait à cet égard quelques modifications, s’il était porté par nous au lieu de l’être par le garde des Sceaux. Nous y serions d’autant plus forcés que ni M. Lainé, ni le côté droit ne veulent défendre ce point, tout en avouant que le résultat en serait fort bon.