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quatre ans qu’il était sur la brèche, il n’avait pas pris un jour de repos. Un rhume négligé le rendait momentanément incapable de se faire entendre dans les Chambres. Le ministre des Affaires étrangères Pasquier, le seul des autres membres du cabinet qui fût orateur, n’aurait pu supporter seul le poids d’une discussion aussi laborieuse que celle de la loi électorale. Ces circonstances ajoutaient aux embarras de la situation et achevaient de convaincre Decazes de la nécessité de fortifier le ministère en décidant Richelieu à en prendre la présidence, que lui-même était prêt à lui céder. Il ne perdait aucune occasion de lui en renouveler l’offre. Dans les derniers jours de décembre, il lui dépêchait ses deux collègues, Pasquier et Portal, pour le supplier de ne pas se dérober plus longtemps à ce qu’exigeait de lui l’intérêt de la monarchie. Mais Richelieu persistait à se récuser.

Ces difficultés n’étaient pas les seules qu’eût à surmonter Decazes. Il avait à se débattre contre l’ingérence du corps diplomatique étranger dans les affaires intérieures de la France. Les ambassadeurs accrédités à Paris affectaient de considérer le projet de substituer au renouvellement partiel de la Chambre des députés son renouvellement intégral comme une atteinte aux principes proclamés par la Charte. Celui de Russie, Pozzo di Borgo, se faisait remarquer par l’acrimonie et la vivacité de ses critiques. Decazes s’en plaignait avec amertume dans une lettre qu’il écrivait, de son lit, le 2 janvier 1820, au comte de la Ferronnays, représentant du Roi à Saint-Pétersbourg :

« Pozzo continue à ne voir et à ne parler que par le comte Molé. Les amis du duc de Richelieu l’ont cependant rendu un peu plus réservé dans ses conversations publiques. Celles particulières, qui deviennent bien vite publiques à leur tour, n’y ont rien gagné ; il y a en lui des sentimens blessés qui ne pardonnent que difficilement. Je lui ai fait dire par le duc de Richelieu qu’il n’y avait ni justice, ni convenance, ni habileté dans son intérêt personnel à dire, par exemple, que c’était coupable à nous de proposer le renouvellement intégral, que l’Empereur le trouverait très mauvais, attendu qu’il tenait beaucoup à la Charte. Il n’y avait pas justice de sa part à parler ainsi, car, il y a deux ans et cet été encore, il tenait un autre langage : convenance pour un ministre étranger de respecter les projets du Trône annoncés dans le discours du Roi ; intérêt, car il ne peut convenir à l’Empereur que la légèreté d’un de ses ministres cherche à compromettre son nom. »