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en terminant, de lui dire que le fourreau était jeté, que je savais tout ce qu’il pouvait, que je désirais avec ardeur qu’il employât ses moyens pour nous et que j’étais persuadé qu’après réflexions, il les emploierait. Dans la conversation, il m’a attaqué par le défaut de la cuirasse, c’est-à-dire par la différence d’opinions entre ton oncle (le Comte d’Artois) et ton Louis. J’y ai répondu par des généralités. Il m’a dit qu’il croyait qu’à la Chambre, nous aurions la majorité. Si je te vois ce soir, tu auras des détails. »

La croyance de Courvoisier fut justifiée par l’événement. L’adresse, telle qu’en des circonstances si critiques pouvaient la souhaiter le Roi et ses ministres, réunit une majorité approuvant la révision de la loi électorale et disposée à la voter. C’était un succès, mais un succès bien précaire. Cette majorité, rien n’en garantissait ni la cohésion, ni la force, ni la durée. Le ministère marchait au combat sans avoir pu dresser avec certitude l’effectif de ses défenseurs, ni celui de ses ennemis. Tout en y marchant, il était contraint de l’éviter, ou de s’en tenir à des escarmouches, avançant un jour, reculant le lendemain, obligé de tenir tête de tous les côtés à la fois, même du côté de ses amis, car, de là aussi, surgissaient à l’improviste des mécontens, des pressés, des découragés, qui devenaient promptement des adversaires. Pour grouper la majorité, une action rapide eût été indispensable. Mais la loi sur les élections était lente à sortir des délibérations ministérielles, l’entente entre les ministres longue à se faire. L’opposition triomphait de tout ce temps perdu.

Une complication nouvelle vint retarder encore la présentation de la loi. De Serre, qui seul pouvait la défendre efficacement à la tribune, puisqu’elle était son œuvre, tomba malade. On espéra d’abord enrayer le mal en peu de jours. On ne se rendait pas compte du caractère véritable de ce mal : un épuisement complet des forces physiques, déterminé par les agitations d’une âme incapable de se modérer et qui se livrait avec un frénétique dévouement aux causes qu’elle avait embrassées. Cette âme exaltée avait usé le corps, trop frôle pour résister à ses transports. L’athlète, démesurément affaibli, se trouvait arrêté au moment d’engager la lutte. Pour présenter la loi, il fallait attendre qu’il fût rétabli. Son malheur privé devenait ainsi un malheur public.

Quoique moins atteinte, la santé de Decazes inspirait aussi des inquiétudes ; les lettres du Roi datées de cette époque y font allusion à tout instant. Decazes lui-même avouait que, depuis