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celles de la Louisiane, bref, réalisant le type de l’ingénue d’autrefois, l’ingénue de chez nous, mais en liberté.

On fait partout beaucoup de musique. Aux thés de cinq heures, entre Françaises, se glissent une ou deux Anglaises qui, par leur sympathie pour les choses de France, ont acquis des droits à l’intimité. Grand luncheon de dames, plus cérémonieux et très élégant, mi-parti français, mi-parti anglais, en nombre à peu près égal, vingt-quatre couverts, chez la femme d’un haut fonctionnaire dont le nom français s’associe au titre de lady, son mari ayant été anobli par la Reine. Ceci arrive comme en Angleterre, pour récompenser de loyaux services, au grand dépit des bleus intransigeans qui ne pardonnent pas à leurs compatriotes de se laisser sirer[1]. Accueil affable entre tous dans l’hospitalière maison de l’homme distingué, vrai magistrat français de l’ancien régime, qui, gouverneur de Québec aujourd’hui, a quitté sa maison de Montréal pour la splendide résidence de Spencer Wood.

Il y a beaucoup plus de diversité dans la société montréalaise que dans celle de Québec. Le nom de Français s’étend à tous ceux qui parlent notre langue, fussent-ils Suisses ou Belges, et partout on sent l’infusion des habitudes anglaises comme elle n’existe pas à Québec. Par exemple, nous chercherions vainement dans cette dernière ville rien qui ressemblât au salon si intéressant de Mme Herdt, femme d’un professeur de l’Université Mac Gill. J’y ai entendu de la musique qui ne saurait être comparée à ce qu’on appelle d’un bout du monde à l’autre musique d’amateur, et en outre des lectures qui révélaient de réelles qualités littéraires, le tout sans pédantisme ; mais le ton bien français de la maison était très distinctement protestant, ce que nous appelons ici genevois, même quand Genève n’y est pour rien.

Il y a douze ans que la société dont M. et Mme Herdt font partie s’est formée entre amis pénétrés des mêmes goûts. Une fois (par semaine ses membres se rassemblent chez l’un d’entre eux, à tour de rôle ; un compte rendu de la réunion précédente est donné, puis lecture est faite de différens travaux, chacun d’eux choisi au gré de l’auteur ; intermèdes de chant, de musique instrumentale et de conversation. Il y a bien peu de salons à Paris où l’on trouverait les élémens d’une fête de ce genre ; l’égalité des sexes dans le Valent m’y a paru chose démontrée ;

  1. D’accepter le titre de sir.