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marquis de Vaudreuil, dernier gouverneur français du Canada.

La première lecture est faite par une dame anglaise, Mrs Logan. Elle lit un très bon morceau sur Mme de la Tour, l’héroïne acadienne, venue de France, native du Mans. L’Acadie avait été partagée en trois provinces, dont le gouvernement et la propriété furent distribués entre des ambitieux qui renouvelèrent entre eux les luttes des grands vassaux au moyen âge. C’étaient des rivalités pour la traite des pelleteries, des discussions pour la limite de leurs terres, des jalousies de toute sorte produisant de véritables guerres. Il en fut ainsi entre Charles de la Tour et le sieur d’Aulnay de Charnisay. Le premier obtint l’alliance précaire et très peu loyale des Bostonais, comme on appelait alors les voisins d’Amérique ; avec leur aide il empêcha son adversaire de s’emparer du fort Saint-Jean qui lui appartenait, mais Charnisay devait se venger de cet échec. Pendant une absence de La Tour, il assiégea le fort de nouveau. Mme de la Tour, électrisant par son courage la poignée d’hommes qui l’entourait, fit une si belle défense qu’une première fois l’ennemi se retira. Il revint cependant avec des forces nouvelles et elle dut consentir finalement à accepter des conditions honorables. Mais Charnisay viola aussitôt la capitulation ; en entrant dans le fort, il fit pendre la petite garnison et força Mme de La Tour d’assister au supplice, la corde au cou. Elle en mourut d’horreur et de rage. J’aurais su plus de gré encore à son apologiste d’avoir parlé et si bien parlé d’une héroïne française si je n’eusse démêlé que la victime de Charnisay était huguenote et que son mari avait constamment joué un double jeu entre la France et l’Angleterre. Mrs Logan fut chaleureusement applaudie, puis les dames anglaises, presque en masse, suivirent leur compatriote dans la pièce voisine, où les conversations bourdonnèrent, tandis que Mme Dandurand, à son tour, lisait un essai fort bien tourné sur un livre écrit par quelqu’un de ses ancêtres. Il paraît que, dans le cas contraire, c’eût été le même manque d’égards, les Françaises ne se gênant pas plus avec l’autre camp qu’il ne se gêne avec elles.

La musique mit tout le monde d’accord, on écouta les intermèdes d’airs canadiens agréablement chantés par les dames de la ville. Elles ont l’instinct et le goût de la musique. Les Anglaises, de leur côté, nous donnèrent un joli concert de banjo ; un thé des plus élégans fut servi avec accompagnement de glaces,