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tendance à se laisser attirer par la Russie s’affirmait dans la monarchie trialiste, une scission ne tarderait pas à se produire en elle, ou du moins elle serait tiraillée en deux directions contraires, l’Autriche et la Hongrie se tournant vers l’Allemagne tandis que la Bohême se tournerait vers la Russie, et les unes poussant d’autant plus à gauche que l’autre irait d’autant plus à droite. Qui l’emporterait ? Les distances, en ce cas, ne sont point à négliger, et c’est la géographie qui répond. La Russie n’est pas toute proche ; les Tchèques, les Slaves de Bohême, sont séparés des Russes, autres Slaves, par les Polonais, troisième espèce de Slaves ; quoi qu’on ait pu faire en ces derniers temps pour réconcilier les frères ennemis, entre la Russie et la Bohême, s’étend le fossé polonais : il y a une large solution de continuité. En revanche, entre l’Allemagne et les districts allemands de la Bohême, continuité et contiguïté absolues : et de même, entre la Bohême allemande et les autres pays allemands de l’Autriche : 9 millions d’Allemands d’Autriche s’appuient sur la base solide de 50 millions d’Allemands d’Allemagne. — D’incidence en incidence, il serait curieux, et inquiétant pour l’équilibre européen, que le triomphe des revendications de la Bohême en Autriche aboutît, en fin de compte, à un nouvel accroissement de l’Allemagne en Europe ; or, c’est une conséquence indirecte, nullement certaine, mais nullement impossible, et qu’il faut prévoir, avant de marquer aux Tchèques, — si digne d’intérêt que paraisse leur cause, — de trop vives et trop actives sympathies.

Le trialisme, à son tour, se transformant en fédéralisme, les mêmes périls subsisteraient et seraient encore aggravés. Dans le trialisme, en effet, les Tchèques de Bohême, tout Slaves qu’ils se sentent, se montreraient, on peut l’espérer, assez Autrichiens pour forcer à rester Autrichiens eux aussi, en ne leur donnant pas de prétextes à vouloir cesser de l’être, leurs voisins, les Allemands de Bohême ; et après tout, ce régime serait fondé sur l’histoire, où il y eut un royaume de Bohême, qui était non seulement tchèque, mais à la fois tchèque et allemand. Le fédéralisme, lui, se fonderait sur la race, et dès lors, grâce à lui, l’attraction de la Russie sur les parties slaves, de l’Allemagne sur les parties allemandes de l’Autriche, s’exercerait pleinement et peut-être irrésistiblement ; si fort que le gros aimant s’attacherait peut-être ce qu’il attirerait. Ce serait du coup que, suivant une métaphore retentissante, « la pointe de l’épée d’Arminius pourrait arriver