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La conclusion à tirer de là, c’est donc que l’Orient est profondément et essentiellement particulariste ; que ce que vous nommez à l’européenne l’État n’est ici qu’une juxtaposition de clans ; et que les empires n’y sont, quand les circonstances historiques en forgent, qu’un assemblage de petits États, d’États de clans, juxtaposés. »

Puis nous revînmes en Autriche, et mon interlocuteur ne me dit plus rien, sinon que tout l’art et toute la vérité, en politique, consistent à conformer les institutions des peuples à la vie ; et qu’il ne s’agit pas de savoir si elles sont théoriquement les meilleures qui se puissent imaginer, mais bien si elles sont celles qui s’appliquent le mieux dans les conditions données. Je sortis, mais, en m’en allant, je ne pus chasser cette double pensée, que l’Orient est particulariste, et que l’Orient commence à Vienne. — Et je crois que cette explication de l’Orient peut grandement servir à la connaissance et à l’intelligence de la Monarchie austro-hongroise.

Pour elle aussi, le particularisme est la loi, et ce n’est qu’une mosaïque de petits États, qui ne sont guère plus, eux-mêmes, qu’une mosaïque de clans. Elle se divise d’abord en deux moitiés : Autriche et Hongrie, Cisleithanie et Transleithanie ; premier degré du particularisme. — Deuxième degré : division de chacune de ces moitiés en plusieurs royaumes ou Pays, qui n’est pas seulement une division administrative en provinces ; pour la Cisleithanie : Bohême, Galicie, Trentin, Tyrol, Frioul, Carinthie, Carniole, Küstenland, etc. ; pour la Transleithanie : Croatie, Slavonie, Fiume, Transylvanie, etc. Et dans chacun de ces royaumes et Pays, — troisième degré du particularisme, — des races ou des populations diverses et adverses : en Bohême, Tchèques et Allemands ; en Galicie, Polonais et Ruthènes ; dans le Trentin, le Tyrol, le Frioul, Allemands et Italiens ; dans le Küstenland, en Carinthie et en Carniole, Italiens, Allemands et Slovènes ; de l’autre côté de la Leitha, dans le nord de la Hongrie, Magyars et Slovaques ; en Transylvanie, Magyars et Roumains, Saxons, Szekler ; en Croatie-Slavonie, Magyars, Croates et Serbes ; à Fiume, Magyars, Croates et Italiens. Disséminés partout, mais inégalement, de l’ouest à l’est, des Israélites, nombreux jusqu’à former en Galicie un véritable État juif (le Iudenstaat, dont quelques-uns caressent le projet, se trouve là tout réalisé), très nombreux aussi en Hongrie, mais en quelque sorte moins