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un aussi qu’au long de dix siècles, cet État n’ait pas pu fondre en une nation les diverses nationalités qui occupent ses diverses provinces ; et c’en serait un plus étonnant encore que, n’ayant pu faire cela en dix siècles, tout d’un coup, après dix siècles, il pût constituer, sous lui, une Confédération avec des États déjà grands et déjà francs, de même race que ces nationalités dont il a été impuissant à faire une seule nation, et de plusieurs familles de cette même race. Oui certes, il peut y avoir des miracles de l’histoire, qui vont contre l’ordre apparent, contre ce qu’on appelle la loi de l’histoire ; il ne faut pas les nier, mais il faut ne les admettre que lorsqu’ils se sont produits ; et s’il est une chose que la politique ne puisse pas préjuger, sur laquelle elle ne doive pas établir ses calculs, c’est le miracle. Laissons donc la Confédération balkanique ; et tâchons, en attendant le miracle futur qui changerait tout, de déterminer l’ordre apparent et, pour l’Orient de l’Europe, de dégager la loi de l’histoire, règle unique et unique fondement de la politique.


IV

Or, cette loi, pour tout l’Orient européen, il semble bien qu’elle établisse un particularisme, un individualisme, et, par suite, une anarchie irrémédiables. Reste à savoir ce qu’est l’Orient, jusqu’où il vient, et si, comme on l’a dit, il commence à Vienne, ou du moins à quelques lieues de Vienne, à Wiener-Neustadt. L’observation des faits, même rapide, montre assez qu’il y a là plus qu’une simple boutade : l’Orient vient finir, en effet, ou commence tout près de Vienne, et ainsi s’expliquerait-on que le particularisme, étant sa loi, pourrait être le sort définitif des peuples dont est faite l’Autriche-Hongrie. Je sais bien que cette proposition a quelque chose de paradoxal, et, la première fois que je l’ai entendue, j’en ai été moi-même un peu choqué, tant elle va à l’encontre des opinions reçues. Mais comme celui qui la développait devant moi est l’homme d’Europe qui connaît le mieux l’Orient, comme il le connaît pratiquement et politiquement, étant en train d’accomplir en pays oriental une grande œuvre, et comme chez lui le philosophe raisonne avant que le ministre exécute, ses paroles méritent d’être rapportées. — Voici donc, en substance, la thèse qu’il soutenait :

« Le fond des institutions de l’Orient, et le fond de la