Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lutte des races, la jalousie innée, la haine séculaire des nationalités les unes contre les autres ?

Haine et jalousie que les Tchèques, au surplus, rendent bien aux Magyars, accrues, envenimées du dépit que leur cause la fortune, suivant eux injuste et insolente, de la Hongrie. De l’aveu, d’un des leurs, et non d’un des moins importans, ils estiment la Hongrie si abusivement favorisée dans le régime dualiste, qu’ils ne désirent pas tant encore s’élever à la même situation vis-à-vis de l’Autriche, que de la voir ramener à une situation plus modeste, et égale à celle qui serait faite à la Bohême, dans une Monarchie autrement comprise et construite. Leur idéal serait une Autriche puissante par ses finances, son commerce et ses armes, où pourtant les diverses couronnes ou royaumes jouiraient, égaux entre eux, d’une très large autonomie ; centralisée quant à l’extérieur, et à l’intérieur décentralisée : un État un, qui serait tout de même plusieurs et, — s’il n’est pas inconvenant d’appliquer en matière profane une comparaison sacrée, — une sorte de trinité politique, par exemple, un et trois, un empire en trois royaumes.

Ne dites pas qu’il serait sans doute difficile de convertir à cette combinaison la Hongrie, qu’elle ferait descendre d’un degré, car les Tchèques tout aussitôt vous répondraient qu’on s’en laisse trop imposer par le mirage hongrois ; et, pour vous en fournir la preuve, ils invoqueraient les statistiques, — éternelle et inépuisable ressource des peuples qui se disputent l’Autriche. « Les Magyars ! combien sont-ils ? On n’en sait rien. Et n’est-ce pas un étudiant magyar qui, interrogé un jour à ce sujet par le professeur Wagner, de Berlin, dit bonnement : — Entre six et neuf millions » ? N’insistez point : n’objectez pas que le nombre n’est pas tout, qu’il ne faut pas, en politique, négliger le poids des impondérables, que la grandeur des nations a aussi ses facteurs moraux et immatériels. A la seule pensée que c’est aux Magyars que vous appliquez ces beaux principes, les Tchèques sourient avec dédain et vous confondent par ces mots : panache, mise en scène et musique tzigane ! A la bonne heure, les peuples de race slave épars en Hongrie, qu’ils soient Slovaques, Croates ou Serbes ! Ceux-là croissent, multiplient et se développent : ils portent un peu de l’avenir du slavisme en Autriche, et la Bohême se sent pour eux une tendresse de sœur aînée. — Je ne prétends pas qu’il soit impossible de trouver, tant en Hongrie qu’en Bohême, quelques sages qui considèrent les choses de plus loin et de plus