Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le chapeau de Tabarin, et, quoique sans cesse il changeât, pourtant c’était toujours le même. M. di Rudini passait de la droite à la gauche et de la gauche à la droite, appelant à lui et quittant tour à tour M. Ricotti et M. Colombo, M. Carminé et M. Codronchi, M. Prinetti et le marquis Visconti-Venosta, M. Zanardelli et M. Gianturco. Ses avant-dernières recrues, en décembre 1897, avaient été M. Zanardelli précisément, MM. Gallo, Cocco-Ortu et Pavoncelli ; les dernières, il y a quinze jours, pour ce cabinet qui n’a pas vécu, MM. Bonacci, Cappelli, Afan de Rivera, Cremona, Canevaro et Frola ; quatre départemens avaient gardé leurs anciens titulaires, qui étaient M. di Rudini lui-même, M. Luzzatti, M. Branca et le général di San Marzano.

Telle était la cinquième combinaison di Rudini. Elle avait reçu de la presse un accueil assez froid, soit que l’on mît en parallèle, au désavantage des nouveaux venus, la valeur des uns et des autres, soit que l’on fit observer que le ministère remanié, étant, ainsi que le précédent, composé d’hommes de partis opposés, portait en lui le germe des mêmes discordes, commencement de la même fin. Des organes de la modération et de l’autorité de la Rassegna nazionale dénonçaient un tel système de va-et-vient, de concessions et de compromissions, de conciliation des inconciliables, de commutation et de transmutation des opinions, comme la ruine de toute administration et la négation de tout régime constitutionnel. Mal qui, sans doute, ne date pas d’aujourd’hui, mais qui précipite la décadence, déplorable, pour la Rassegna, autant qu’incontestable, de ce que l’on qualifiait de gouvernement parlementaire. Ce n’est pas que MM. Cappelli, Canevaro, Cremona et autres ne pussent tenir honorablement leur place dans un ministère : quelques-uns d’entre eux avaient déjà fait leurs preuves, et tous, au besoin, les eussent faites, brillantes ou suffisantes : au rebours de ce qui arrive souvent, ce n’étaient point ici les ministres qui retiraient de la force au ministère, mais bien le ministère, dans les conditions où il se formait, qui rendait inutile la bonne volonté des ministres. « En temps ordinaire, ajoutait la Rassegna nazionale, ils eussent pu, comme d’autres, gouverner pour le bien du pays, mais sommes-nous donc en un temps ordinaire ? » Étant ce qu’il était, le cabinet pouvait-il prendre l’initiative des réformes politiques et économiques urgentes ? Pouvait-il conseiller au roi la dissolution et l’appel au pays, en cas de conflit, dès sa rencontre avec le parlement ? Le pouvait-il, sa solidité, sa stabilité étant faites d’une seule chose, de la faiblesse d’une opposition trop divisée pour être active et efficace ? Comment, en effet, et sur quoi penseraient ensemble