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profondément bonne. Elle rencontre sur son chemin un jeune névropathe, Pierre, atteint du plus douloureux narcissisme moral, enragé d’une impuissance que sa clairvoyance entretient, habile à souffrir et à faire souffrir les autres, inquiet, très intelligent, absolument insupportable (type connu), — qui dit à Marthe des choses désagréables, car il l’aime. Marthe, le voyant si malheureux, se donne à lui par une décision brusque, afin de le guérir.

C’est une faute. Marthe méconnaît ici sa vocation naturelle. En se donnant à Pierre, elle n’a pu renoncer à ses pauvres et à sa clientèle d’âmes en détresse. Pierre en souffre : il veut, d’abord, être tout seul secouru et protégé par elle, et exige qu’elle rompe avec son passé d’universelle bienfaitrice. Elle obéit ; mais alors Pierre entend n’être plus protégé du tout : il souffre de sentir, dans la tendresse de Marthe, une pitié indéracinable et, dans sa docilité même, une attention, un dévouement de garde-malade. Et Marthe elle-même se sent toute désorientée : capable de donner à Pierre plus qu’il n’exige, mais non de lui donner exactement ce dont il a besoin ; capable de se sacrifier, oui, mais non d’aimer tout simplement.

Elle est près de reconnaître son erreur. Elle découvre, à ce moment, que Pierre est aimé d’une jeune fille, Jeanne, dont la passion, point protectrice ni maternelle, celle-là, ravit le pauvre jeune homme au sortir de tant de complications. Après une révolte assez courte, elle consent au bonheur de Pierre et de Jeanne ; et, mieux éclairée par l’épreuve sur sa vocation, qui est d’être « la confidente » et la consolatrice de tous et non la femme d’un seul, elle retourne aux malheureux, à tous les malheureux.

Très beau sujet, presque trop beau et trop riche ; surabondante matière à d’infinies analyses psychologiques (là était le danger) ; thème de roman plus encore que de drame. C’est, en somme, — interprété, complété et unifié, — le cas de George Sand et la multiple mais toujours semblable aventure de cette femme au large cœur avec les Musset, les Liszt et les Chopin, ces malades. Aussi bien le sujet de la Confidente ne diffère-t-il pas foncièrement de celui d’Horace et de Elle et Lui, et de la Confession d’un enfant du siècle.

Scéniquement, la pièce de M. André Picard n’est pas excellente. Les personnages s’y considèrent et s’y définissent eux-mêmes insatiablement. Il y a là, je le crains, plus de psychologie étalée que le théâtre n’en supporte. Mais cette pièce lente, maladroite et surchargée est, du moins, d’un esprit pénétrant et distingué.


JULES LEMAITRE.