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mieux traité : M. Lemaître revient plusieurs fois sur sa « facilité à être dupé », sur l’état contristant de « son niveau intellectuel » et sur « cette inattention voisine de la sottise » qui le fait éclater en « furieux applaudissemens » aux endroits où lui, Jules Lemaître, reste absolument froid. »

Ici, je proteste très sérieusement. J’ai pu insulter le public, mais non pas en ces termes. « L’état d’un niveau intellectuel… », « une inattention voisine de la sottise », jamais je n’ai écrit ça, grâce à Dieu, et M. Dubout n’a donc pas le droit de mettre ce charabia entre guillemets[1]. Qu’il me prête de mauvais sentimens, je m’en arrange encore, mais qu’il ne me prête pas son style ! Je n’ai pas mérité cela.

M. Dubout continue : « J’ai pensé que la haute personnalité de M. J. Lemaître… ne me permettait pas de garder un silence qui, aux yeux de quelques-uns, pourrait être attribué ou à un sentiment d’extrême dédain ou à un sentiment d’extrême prudence, — ce que je ne veux ni pour lui ni pour moi. »

Voilà, monsieur, qui est noblement pensé. Je frémis en songeant que vous auriez pu vous taire ; j’ose à peine concevoir la signification, écrasante pour moi, qu’on eût donnée à ce silence ; et je vous remercie de m’avoir épargné une si rude épreuve. Peut-être, seulement, eût-il fallu écrire : « un silence qui pourrait être attribué par quelques-uns… » et non : « qui pourrait être attribué aux yeux de quelques-uns. » Mais je ne veux plus perdre mon temps à corriger vos fautes de grammaire et j’arrive à un point plus intéressant.

Vous assurez que vous n’avez contre moi nulle rancune. « Pas un instant, dites-vous, je n’ai supposé que M. Lemaître ait voulu, comme l’ont insinué quelques médisans, se consoler sur l’œuvre d’un jeune (c’est vous qui soulignez) de l’échec de la Bonne Hélène et de l’Aînée devant le comité de la Comédie-Française. »

Permettez-moi une rectification, puis une réflexion.

Il est bien vrai que la Bonne Hélène a été refusée par le comité, l’un de ces Messieurs ayant dit que, si l’on recevait cet ouvrage blasphématoire, il n’oserait plus jouer la tragédie. Mais je ne leur ai pas laissé le plaisir de recevoir l’Aînée à correction. Ils faisaient de telles têtes que je m’en suis allé sans achever ma lecture. Je pense d’ailleurs, en toute simplicité, que ni l’Aînée ni la Bonne Hélène n’en valent moins

  1. Voici mon texte : «… Que si, malgré tout, on ne s’en est pas aperçu, je n’en sais que dire, sinon que cela nous donne le niveau intellectuel du public », etc. Et : « Cela me fâche qu’on puisse dire que, même dans des pièces qui passent pour chefs-d’œuvre, certains effets dramatiques ont pour condition première l’inattention du public, sa facilité à être dupé, et presque sa sottise. »