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Or, ces mille défaillances du cœur et de l’esprit : le doute, l’inquiétude, la peur, le désespoir, l’égarement, la colère, etc., ne font-elles plus partie de notre humanité ? Prétextat, parce qu’il est prêtre, n’aura-t-il plus le droit de se troubler comme un bomme, de souffrir comme un homme et de se tromper comme un homme ?

En d’autres termes, est-ce au nom de la vérité comme dans la vie qu’il sera défendu de montrer au théâtre les misères de la vie ?

Non, pour établir l’absurdité de la scène en question et l’erreur de tous ceux qui l’ont approuvée — comédiens, public et critiques — il eût fallu que M. Lemaître, au lieu de nous faire un cours sur le sacrement de la pénitence et une théorie générale du postulat, nous apportât la preuve que Prétextat était nécessairement un être d’exception, inaccessible à tous sentimens humains, ou alors que les moyens mis en œuvre pour l’émouvoir étaient insuffisans.

J’arrive à sa deuxième et dernière objection : la confession de Frédégonde était inutile. Frédégonde, en effet, aurait dû savoir que Néra, en découvrant à Prétextat les machinations ourdies contre Mérovée, le relevait par cela même de l’obligation de se taire.

Hélas ! oui, elle aurait dû le savoir ; mais elle ne le savait pas. Elle ne savait pas qu’il y a secret et secret, comme il y a confession et confession, et que la promesse de Prétextat de ne rien révéler pouvait être subordonnée à certaines circonstances… Prétextat lui avait dit du prêtre :


Il peut tout, excepté révéler, même infâme,
Les secrets confiés au Tribunal de l’âme.


Frédégonde l’a cru. Que sa confiance sur ce point ne donne pas une haute idée de ses connaissances en matière religieuse, c’est possible ; mais elle vivait à une époque qui manquait de professeurs ; son excuse est d’avoir été de son temps. Je me demande ce qu’aurait pensé M. Lemaître, si épris de vérité, d’un auteur qui lui aurait présenté l’ancienne servante d’Audovère comme une sorte de sainte Thérèse capable de tenir tête, en casuistique, à tous les Pères de l’Église !

Dans un siècle où l’histoire nous montre un Mérovée, — notre Mérovée, — menacer, le fer à la main, un prêtre de le tuer séance tenante, s’il ne lui donnait la communion, je crois que ma Frédégonde avait bien de la confession l’idée que pouvait en avoir une Frédégonde.

J’ai fini. Au lecteur de conclure.