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presque autant du fait de leur imperfection que du fait du déplacement en longitude. On ne s’en apercevait pas. — Sous le régime des chemins de fer, il en fut autrement. A mesure que les trajets devenaient plus longs et la vitesse plus rapide, la discordance de l’heure transportée par le voyageur avec celle des localités qu’il traversait devenait plus choquante. A partir du moment où il se mettait en route, la montre lui devenait un instrument inutile. Mais l’inconvénient est tout à fait grave pour le conducteur du train. Il ne pourrait compter avec des heures locales continuellement variables. Son seul guide possible est l’heure invariable du chronomètre bien réglé qu’il emporte avec lui, c’est-à-dire l’heure de Paris.

C’est cette heure régulatrice et fixe qu’il aurait intérêt à trouver dans toutes les gares pour corriger au besoin sa montre. Et c’est en effet celle qu’il y trouve. Avant que la loi de 1891 ait étendu l’heure unique de Paris au territoire entier, la nécessité l’avait imposée depuis près de quarante ans aux administrations de chemins de fer, non seulement pour la conduite des trains, mais pour l’organisation de leur marche, la confection des diagrammes de route et l’établissement des horaires. Dans toutes les gares, une horloge intérieure marque l’heure de Paris. Les horloges extérieures peuvent indiquer l’heure locale : celle de la voie donne l’heure nationale. Il n’y a d’embarras que pour les habitans de la localité. Ils doivent savoir que l’heure de la ville diffère de l’heure de la gare et se régler là-dessus pour ne point manquer le train. En fait il y avait donc, entre les années 1850 et 1891, dans toutes les villes éloignées de Paris en longitude, deux espèces d’heures, l’heure locale et l’heure nationale, et des pendules réglées sur l’une et sur l’autre. La loi de 1891 a fait disparaître l’heure locale : l’heure nationale unique règne partout.

L’adoption du temps moyen avait déjà créé un désaccord entre le jour civil et le jour solaire. L’heure de midi ne coïncidait plus avec le véritable milieu du jour ; par une sorte de contradiction dans les termes, elle partageait en deux parties inégales l’intervalle du lever au coucher du soleil. L’adoption de l’heure nationale a aggravé considérablement la discordance. La différence due à la longitude peut s’ajouter, en effet, à l’écart entre l’heure moyenne et l’heure vraie, et c’est ainsi qu’à Brest, le 11 février 1892, il était une heure moins treize minutes au lieu de midi au moment où le soleil passait au méridien.