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l’étude et la création de ce chemin de fer. C’était au moment où les ingénieurs belges rencontraient le maximum de difficultés et venaient de dépenser 20 millions en trois ans pour la construction de 30 kilomètres. La voie de Loango à Brazzaville serait plus longue de 100 kilomètres que la ligne de Matadi à Léopoldville, mais son terminus ouest serait sur l’Atlantique, tandis que Matadi en est éloigné de 180 kilomètres ; la construction du chemin de fer du Niari présenterait beaucoup moins de difficultés que celle de la ligne belge, car le relief des terrains à traverser est moins considérable ; la seule infériorité du projet est l’absence de port à Loango. Les moyens financiers manquèrent à la société française, qui se heurta à la coalition de la haute banque lancée à fond dans l’entreprise belge, et l’idée du chemin de fer français fut momentanément abandonnée.

Ce nouvel échec dans notre œuvre coloniale au Congo ne doit pas nous empêcher de rendre un jugement impartial sur la tâche accomplie par les Belges dans l’Etat Indépendant. Ils ont révélé, en cette occurrence, un tempérament éminemment propre à la colonisation ; le roi Léopold, qui avait deviné leurs aptitudes, s’est habilement employé à leur fournir l’occasion de les mettre en œuvre et de les développer ; grâce à lui, la Belgique sera, au XXe siècle, une grande puissance coloniale. Mais, nous ne saurions trop le répéter, le succès si rapide de l’Etat Indépendant témoigne surtout de la supériorité de l’initiative privée sur les procédés gouvernementaux, en matière de colonisation. Les capitaux, l’industrie et le commerce belges se sont disputé la mise en valeur de cet immense domaine, parce que le gouvernement de l’Etat Indépendant, réduit à des rouages rudimentaires, n’a pas prétendu tout dominer, tout contrôler, tout administrer.

Les « coloniaux » français devraient profiter de cet enseignement et, au lieu de perdre leur temps à des récriminations inutiles contre la compagnie du chemin de fer belge, ils devraient imiter l’attitude de l’Angleterre, lors de l’ouverture du canal de Suez. La similitude est frappante entre les deux situations. Pendant les longs travaux du creusement du canal, les Anglais ne cessèrent de faire obstacle à cette œuvre française, la dénigrant et lui prédisant les plus sombres destinées ; mais, quand ils comprirent que, malgré leur opposition, le canal allait s’achever, ils changèrent brusquement de tactique, et firent affluer leurs capitaux dans l’entreprise, afin d’avoir leur part d’influence dans les