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n’hésita plus ; les rivières découvertes par lui étaient des affluens du Congo ; leurs eaux devaient s’infléchir vers le sud et non pas couler vers l’est, comme il l’avait supposé ; il avait donc pénétré, et la France avait pénétré avec lui, dans le bassin du grand fleuve rattaché par son exploration à notre colonie du Gabon.

Pendant son séjour en Europe, en 1879, Brazza fut vivement sollicité par S. M. Léopold II de servir ses entreprises africaines, pour lesquelles le roi s’était déjà assuré le concours de Stanley. Léopold II, toujours président de l’Association Internationale Africaine, venait de fonder à Bruxelles un Comité d’études du haut Congo, société qui faisait en apparence double emploi avec l’Association Internationale Africaine, bien que son programme indiquât plus nettement des visées commerciales. Des deux sociétés, la première devait servir de paravent à la seconde et ce fut pour cet usage que, bien qu’absorbée en fait, l’Association Internationale Africaine ne disparut pas complètement. Sous prétexte d’humanité, de science et de civilisation, on projetait d’établir au Congo, non un comptoir international et franc où la Belgique aurait eu nécessairement la suprématie, mais un véritable monopole commercial au profit de cette puissance. Brazza eut l’intuition de ce vaste plan ; il lui sembla avec raison que le fait d’avoir pénétré dans le bassin du Congo, en partant de notre colonie du Gabon, nous donnait des droits sur le grand fleuve et que celui-ci ne pouvait faire partie tout entier du domaine de l’Association Internationale Africaine ; il déclina donc les offres de S. M. Léopold.

Or Stanley allait repartir pour l’Afrique, non plus en explorateur, mais comme agent du fameux Comité d’études. Brazza n’eut plus qu’une idée : devancer Stanley au Congo et planter le pavillon français sur ses rives. La lutte entre ces deux hommes, servis par une égale énergie, était loin d’être égale ; d’un côté, Brazza, ne disposant pour tout personnel que de quelques Sénégalais, ayant à vaincre les lenteurs administratives et les difficultés que lui suscitent les ministères qui lui ont accordé de parcimonieuses subventions ; de l’autre côté, Stanley, puisant à pleines mains dans la cassette du roi Léopold, recrutant une armée de noirs depuis Zanzibar jusqu’à Sierra Leone, emmenant un matériel énorme et une flottille de steamers démontables. Ce parallèle n’est nullement destiné à exalter le mérite de Brazza et à rabaisser l’œuvre de Stanley ; les résultats atteints par ces deux hommes dans leur