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que se trouvent le caoutchouc et l’ivoire, dont le commerce, affranchi des entraves de la nature et des hommes, donnerait des bénéfices incalculables ; c’est dans cette plaine au sol fécond que croissent spontanément le palmier élaïs (dont on tire l’huile de palme), le bananier, le manguier, etc. ; que sont cultivés par les noirs le manioc, les arachides, le sésame, le riz ; et il faut ajouter à ces plantes celles introduites avec le plus grand succès par les Européens : café, cacao, coton, tabac. Champ immense pour l’activité commerciale des deux mondes et que cependant aucune nation civilisée n’avait encore exploité, défendu qu’il était contre leurs entreprises par une barrière réputée infranchissable.

Les premiers Européens qui, arrivant en amont des rapides, ont vu les richesses spontanées de cet immense plateau, sillonné dans tous les sens par des cours d’eau navigables, ont dû croire leur fortune faite ; ils ont entassé dans les pirogues défenses d’éléphans, caoutchouc, copal, huile de palme, et ont descendu le fleuve avec une armée de pagayeurs. Rapidement, ils ont atteint le Stanley-Pool ; mais là ont commencé les désillusions et les découragemens. Telles les fourmis chargées de sucre et retrouvant au retour le ressaut circulaire de l’assiette et les difficultés de la descente. En aval du Pool, le Congo s’engouffre dans une faille étroite et descend par un gigantesque escalier de trente-deux marches vers son bassin maritime. Toute navigation continue y est impossible et le seul mode de transport jusqu’à Matadi, où commence le bassin maritime du fleuve, est le portage, transport à des ou plutôt à tête d’homme qui revient au prix de 1 200 francs la tonne, chaque homme ne pouvant porter qu’une charge de 30 kilogrammes[1]. Quel bénéfice reste-t-il entre les mains du

  1. C’est sur la tête et en équilibre, à la manière de nos garçons pâtissiers, que les noirs portent toutes les charges. Dès l’enfance, ils s’accoutument au portage et deviennent rapidement très adroits : on rencontre des enfans tenant en équilibre sur le sommet du crâne, une calebasse, un pot, voire même un œuf. « L’habitude de porter sur la tête est telle, dit le Père Van Damine, que le nègre ne conçoit pas que l’on puisse faire autrement. Une femme a fini de fumer sa pipe, son vêtement sommaire ne comportant aucune poche, elle la pose sur sa tête et continue de vaquer aux soins du ménage. »
    Il transite annuellement entre Loango et Brazzaville 15 000 charges pour le seul compte de l’administration, qui paie 45 francs chaque porteur.