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tellement décidé à ne jamais rentrer au ministère que je n’ai même osé prévoir le douloureux cas. Si la Providence le fait advenir, il ne faut pas que, d’avance, on se soit porté contre. Alors je lui ai dit que, même en lui donnant un brevet d’incapacité ministérielle, le duc de Richelieu n’en aurait pas moins, par ses qualités, par la juste estime qu’on lui porte, une grande influence personnelle et que je la réclamais. Il m’a dit de fort bonne grâce et m’a répété en sortant que, sauf comme ministre, il serait toujours à mon service.

« Nous sommes entrés en matière. Il regarde l’arrivée d’un nouveau cinquième comme pernicieux, le renouvellement intégral tous les cinq ans et même tous les sept comme excellent. Il n’est nullement effrayé de l’idée de toucher aux dispositions réglementaires de la Charte. Il n’est pas partisan de l’augmentation de la Chambre ; il craint qu’elle n’augmente le nombre des ennemis. Mais, ce qu’il craint par-dessus tout, c’est que nous ne perdions la bataille, et il n’aurait pour ainsi dire tenu qu’à moi de comprendre qu’il serait presque d’avis, malgré mon discours, de ne rien entreprendre si nous n’avions une belle chance de succès. Sans relever ses expressions, j’ai insisté sur ses moyens de nous assurer la majorité.

« — Je ne puis, m’a-t-il dit, rien sur les deux extrémités. Je ne connais quelques personnes qu’au centre.

« — Et c’est précisément là, ai-je répondu, que je désire vous voir exercer votre influence. « Il m’a encore assuré, comme je t’ai dit qu’il a fait en partant, qu’il était à mon service… »

Pendant ce temps, de Serre, aidé du duc de Broglie, travaillait à la rédaction de la loi électorale. Entre lui et Decazes, l’accord était complet. Quand celui-ci parlait de quitter le ministère pour faciliter la formation d’un cabinet de droite, de Serre répondait :

— Le dévouement consiste à rester et non à sortir. La duchesse Decazes dit à ce sujet dans ses notes quotidiennes : « La peur qu’a Mme de Serre que mon mari n’abandonne le sien est vraiment amusante. Ce qui me divertit, c’est la bonhomie avec laquelle ils croient que j’ai du crédit. Mme de Serre veut me persuader que le salut de l’État dépend de l’union de nos maris. Je lui réplique que j’en suis très convaincue et je l’assure d’un air capable que je l’avertirai de tout ce qui se passera. Je le ferai, si je le sais pourtant. »