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comme des étrangers, indépendans de la littérature anglaise, et travaillant à développer en Amérique une littérature nationale. Pour définir le talent de l’historien Motley, il l’a rapproché de ses contemporains Macaulay et Carlyle ; pour faire comprendre l’originalité du génie de Poe, il a cité, en regard de ses poèmes en prose, des poèmes semblables de Quincey et de Coleridge : et voulant célébrer la beauté souveraine de la Lettre Rouge, il s’est borné à dire que, bien différent des romans de Walter Scott et de Lockhart, auxquels on l’avait comparé, le roman de Hawthorne était « le roman d’analyse le plus profond, le plus hardi, le plus attachant qu’il y eût dans la langue anglaise, supérieur même à Wuthering Heights et à Silas Marmer. » Non pas qu’il ne se soit rendu compte de l’influence que ne pouvait manquer d’exercer, sur la littérature américaine, le milieu spécial où elle se produisait : mais ce milieu lui est surtout apparu comme un obstacle, une entrave au libre fonctionnement du génie littéraire anglais dans le Nouveau Monde ; ce qui n’a fait, d’ailleurs, que rendre plus vive son admiration pour les grandes œuvres anglaises nées en Amérique.

Tout son livre n’est ainsi qu’une sorte de chapitre ajouté à l’histoire de la littérature anglaise. L’Amérique, au point de vue littéraire, n’y est pas plus considérée comme une nation distincte de l’Angleterre que, par exemple, l’Ecosse ou l’Irlande, qui ne laissent pas cependant, elles non plus, de marquer de leur empreinte l’œuvre de Burns ou de Thomas Moore. Et Nichol n’était pas seul à envisager de cette façon la littérature américaine : c’est de la même façon que l’envisageaient les auteurs américains ; c’est de la même façon que l’envisageait, aux États-Unis, le public lettré. On trouvait bien çà et là des fantaisistes, ou des patriotes chauvins, pour faire savoir à l’Angleterre que l’Amérique était en âge de s’émanciper de sa tutelle. « Chère vieille belle-mère, lui déclarait Lowell, il y a bien longtemps que nous nous sommes séparés. Depuis 1660, où vous vous êtes remariée, vous êtes devenue une marâtre pour nous. Mettez vos lunettes, ma chère dame ! Oui, nous avons grandi, et changé aussi. Et quand nous vous demandons d’être traités en hommes, ne perdez plus votre temps à nous parler comme à des bébés ! » Mais ce n’étaient là que des boutades ; le succès obtenu aux États-Unis par le livre de Nichol suffirait à le prouver. Maintenant, ces boutades sont devenues l’expression du sentiment général des Américains : et le manuel de M. Brander Matthews n’est, d’un bout à l’autre, qu’une éloquente et spirituelle revendication des droits de l’Amérique à l’autonomie littéraire.