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l’effort lui-même constitue un phénomène suffisamment curieux pour valoir au moins d’être signalé. Une branche de la littérature anglaise tendant, par tous les moyen ? , à se détacher de son tronc, pour vivre d’une vie propre, et contribuer ainsi à la fondation d’une patrie : quel spectacle peut-on trouver qui soit plus instructif, tant pour le philosophe que pour le critique ? Quel spectacle peut-on trouver qui prouve mieux la réalité, la force, l’importance vitale de cette idée de patrie, « que le dilettantisme des uns et la sophistique des autres ont chez nous travaillé de concert à vider de son contenu » ?


Et si ce spectacle s’offre à nous dans toutes les productions récentes de la littérature américaine, depuis les romans de M. Howells jusqu’aux études métaphysiques de M. Carus et de ses collaborateurs du Monist, je ne crois pas qu’il ait encore pris nulle part une forme aussi précise, ni aussi expresse, que dans le petit livre publié par M. Brander Matthews, sous le titre d’Introduction à l’étude de la littérature américaine.

Ce petit livre n’est, en vérité, qu’un manuel, et destiné surtout aux enfans des écoles. Les notions élémentaires et générales, les dates, la biographie des grands écrivains américains, y tiennent plus de place t que la critique ; et quand l’auteur a indiqué les genres principaux où se sont illustrés, par exemple, Fenimore Cooper, Hawthorne, ou Lowell, quand il a raconté les circonstances principales de leur vie, et énuméré les titres de leurs principaux ouvrages, quelques mots lui suffisent pour définir le caractère particulier de leur originalité littéraire. Mais ces quelques lignes sont invariablement consacrées à montrer au lecteur que, dans les genres les plus divers et de vingt façons différentes, les grands écrivains des États-Unis ont été des américains, que leur originalité propre leur vient de l’originalité de leur race, et que leur grandeur ‘est en raison directe de la part de sentimens nationaux qu’ils ont exprimée dans leurs œuvres. Sous prétexte de préparer les enfans américains à l’étude de la littérature des États-Unis, M. Brander Matthews s’est efforcé de leur apprendre que la littérature des États-Unis n’avait rien de commun que la langue avec la littérature anglaise, et que, depuis Franklin jusqu’à nos jours, elle s’était développée librement, spontanément, sans subir d’autre influence que celle de son propre génie.

Personne, d’ailleurs, ne pouvait avoir plus d’autorité pour soutenir une semblable thèse que M. Brander Matthews, professeur de littérature au Columbia Collège, et à coup sûr l’un des écrivains les plus