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théorie des milieux. L’exemple est classique de l’opposition entre un Racine et un La Fontaine tous deux Champenois ; et, si Racine diffère tellement de Corneille, je laisse aux savans à expliquer cette différence par le fait que Corneille est d’un pays à cidre. Pour ce qui est des trois exemples choisis par M. Demolins et au sujet desquels nous avons feint d’abonder dans son sens, comme il eût été facile de les opposer au lieu de les rapprocher ! Où est le rapport entre l’imagination plantureuse d’un Rabelais et le mince filet de verve d’un Courier ? Mais, si l’optimisme naturaliste nous a paru être la conception fondamentale du Gargantua, qui donc, plus que l’auteur de la Comédie humaine, a mis en relief les puissances mauvaises de cotre nature ? Et enfin c’est Victor Cousin qui, en son temps, expliquait par les traits du caractère breton le génie de Descartes, qui est Tourangeau et ne ressemble d’ailleurs ni à Rabelais, ni à Courier, ni à Balzac. Que l’homme soit dépendant de son milieu physique et social, nul ne le conteste ; ce que nous n’admettons pas, c’est qu’il en soit prisonnier. Parmi les élémens qui constituent ce milieu on n’en oublie qu’un seul, qui, aussi bien, est le plus important : c’est le pouvoir que l’homme trouve en lui-même de transformer le milieu où il est jeté. Et telle est, à notre avis, l’erreur foncière de la doctrine de M. Demolins. — Ou bien M. Demolins a raison. Et alors, puisque nous voyons de quels méfaits la vigne est responsable dans notre organisation de la famille, dans notre conduite politique, dans notre développement littéraire, et puisque les lois sociales ont cet avantage qu’en nous signalant le mal elles nous invitent à y remédier, hâtons-nous donc, ouvrons enfin les yeux, cessons de méconnaître plus longtemps nos véritables intérêts et de repousser un secours providentiel ! Je veux dire : travaillons à la propagation du phylloxéra !


RENE DOUMIC.