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Dès l’aube, toute la contrée connaissait l’aventure : le bruit s’en répandit jusqu’à Rennes. Les administrateurs du département tinrent conseil : il importait de disperser ces rassemblemens de factieux et de s’assurer de la personne des chefs. En conséquence, un détachement du 16e dragons, en garnison à Rennes, ainsi que la cavalerie de la garde nationale avec deux pièces de campagne, reçurent l’ordre d’aller mettre le siège devant le château de la Rouerie, sous la direction de deux commissaires, François Varin et Marie Hévin, délégués par le directoire du département d’Ille-et-Vilaine. Les troupes arrivèrent à Antrain le jeudi 31 mai : la petite ville regorgeait de soldats ; depuis la veille une véritable armée s’y concentrait ; à la requête des districts d’Avranches et de Dol, les gardes nationales et les brigades de gendarmerie de Pontorson, de Fougères, de Saint-Aubin-du-Cormier, de Saint-Servan, de Dol même s’étaient mobilisées et campaient dans la haute ville et sur les bords de l’Oysance. Les commissaires rennois s’y rencontrèrent avec MM. de la Brigue, du district de Dol, Gauttraye fils et Latouche, du district de Fougères, qui les instruisirent du détail des faits.

Espérant s’emparer par surprise du marquis de la Rouerie avant que ses espions ne l’eussent prévenu du danger qui le menaçait, un peloton de vingt hommes, sous les ordres de Cadenne, lieutenant de gendarmerie à Saint-Servan, se mit en campagne, dès la nuit venue, et battit, sans succès, les environs du château. A onze heures du soir, Cadenne rentrait avec ses hommes à Antrain, ramenant « un particulier » rencontré sur la route : c’était Deshayes, le secrétaire du marquis. Hévin l’interrogea sur-le-champ ; mais l’autre, très maître de soi, joua la stupéfaction. « Il y a quatre ans qu’il est au service du marquis en qualité d’intendant et jamais il n’a entendu parler de conjuration ni de politique : depuis trois mois, principalement, la Rouerie s’occupe seulement de l’entretien de son jardin et de l’embellissement de son domaine qu’il a quitté mardi dernier dans l’après-midi, afin d’empêcher ses amis de venir le voir et de couper court aux bruits de rassemblemens que des gens malintentionnés ont répandus. Deshayes ignore où s’est retiré le marquis et sait seulement qu’il est parti en compagnie de plusieurs personnes, entre autres de son cousin Tuffin, de MM. du Pontavice, de la Haye-Saint-Hilaire et Chafner, des dames du Pontavice, Fabiani et de Mlle Moëlien de Trojolifî. Le valet de chambre Saint-Pierre, ainsi que Guillon