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Bourgeois, dans un coin de sa lettre, glissait, comme une clause de style, la formule de M. Ferry : « Les instituteurs ne doivent pas faire de politique. » Comme pour concilier avec les scrupules de M. Ferry les espérances qu’on fonde sur le personnel scolaire, M. Buisson distingue, dans un numéro suivant du Manuel général, l’homme et le fonctionnaire : « Le fonctionnaire, dit-il, reste absolument neutre ; l’homme reste absolument libre ; et, sous le régime républicain, une attitude à la fois virile et réservée ne provoquera pas les rigueurs administratives. » On s’est, en effet, comporté, durant la dernière période électorale, comme si les rigueurs administratives n’étaient point à redouter.

Au reste, M. Bourgeois, dont beaucoup de maîtres d’école ont soutenu la politique avec plus de virilité que de réserve, est en quelque mesure leur chef, puisqu’il est le président de la Ligue de l’Enseignement. Voilà trente ans que cette Ligue existe : fondée par Jean Macé pour la diffusion de l’instruction primaire laïque, elle se préoccupe surtout, depuis que les lois scolaires sont en vigueur, du développement de l’instruction des adultes. Le gouvernement de la République, en un certain nombre de localités, a eu la généreuse imprudence d’invoquer le concours de ses instituteurs pour les cours et conférences qu’organise cette association. Elle fut à l’origine, comme la franc-maçonnerie à laquelle elle est intimement unie, l’antichambre et parfois le laboratoire du parti républicain. On a plus tôt fait, en général, de modifier sa stratégie que son armement ; et lorsque les modérés, prenant conscience de leur force et de leurs droits, réclamèrent la maîtrise de la République nouvelle et tentèrent de substituer à la politique de concentration une politique d’autonomie, ils continuèrent de considérer comme une auxiliaire la Ligue de l’Enseignement, antique alliée des victoires républicaines.

Désireux de multiplier les œuvres d’éducation populaire pour combler les effrayantes lacunes de l’école primaire et pour disputer le peuple au socialisme, ils gardèrent à la Ligue leur confiance coutumière. Mais la Ligue, fidèle à elle-même, a défendu le vieil esprit contre l’esprit nouveau ; — ce qui veut dire, en pratique, la politique de M. Bourgeois contre la politique de M. Méline, et l’amitié des socialistes contre l’amitié des ralliés. M. Bourgeois sent tout le prix de l’influence des « Ligueurs » ; annuellement, au Congrès de la Ligue, il passe ses troupes en revue et les honore d’un grand discours : il étudiait, en 1894, l’éducation des adolescens