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« concentration », et obtenu la gloire, d’ailleurs banale, de l’affichage. Les instituteurs lui en avaient su gré. Il couronna leur gratitude par la lettre ouverte qu’il écrivit à M. Buisson : jamais hommage plus enivrant ne leur avait été rendu. Transportez-vous par la pensée dans la modeste maison, voisine de l’école primaire, où l’instituteur se repose de son travail et dévore parfois ses déceptions : il doute de sa mission, dont, à l’école normale, on lui célébrait la grandeur sans en aplanir suffisamment les difficultés ; il doute de ses forces et se sent incapable (son inspecteur d’académie l’a du reste constaté) de « rien tirer de son propre fonds en matière d’éducation morale » ; il doute peut-être de ses chefs, soupçonnés de pactiser avec la réaction. Mais il est tout prêt à s’exalter de nouveau, si son exaltation trouve un complice. Le complice survient : c’est M. Léon Bourgeois. Le chef de l’opposition radicale interpelle cet instituteur : « Tu es, lui dit-il, le dépositaire du trésor intellectuel et du trésor moral par lequel s’est faite l’unité de la conscience humaine… Tu es le représentant de la raison… Tu es le représentant de l’idée nationale et de la conscience sociale… Tu es, dans chaque village, non seulement l’interprète des idées communes, mais l’homme dont la présence suffit à les manifester… Tu exerces une espèce de magistrature des mœurs. »

L’instituteur devient une façon de verbe incarné ; bien loin de sourire, il admire ; et, de M. Bourgeois à lui-même, de lui-même à M. Bourgeois, son admiration fait un mouvement de va-et-vient. Au terme de sa lettre, M. Bourgeois souhaite que l’esprit public soit « uniquement inspiré par la ferme conscience et la ferme raison », et il conclut : « La République a-t-elle trop espéré en se flattant d’avoir mis dans chaque commune de France un homme au moins qui dans les heures difficiles y puisse être l’organe de cette conscience et de cette raison ? » C’en est fait ; M. Buisson pourra désormais prêter l’hospitalité du Manuel, tantôt à des républicains de gouvernement, comme M. Raymond Poincaré, tantôt à des sénateurs du centre gauche, comme M. Bérenger ; ils trouvent la place prise par M. Léon Bourgeois. Lorsque viendront les « heures difficiles » où l’on devra opter entre les deux conceptions de la République, beaucoup de maîtres d’école se feront les organes de « la ferme conscience » et de « la ferme raison », ferme conscience intransigeante à l’endroit des « ralliés », ferme raison accessible aux utopies révolutionnaires. C’est en vain que M.