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Il y eut bien quelques déceptions : M. Lichtenberger fut chargé de les constater. Doyen de la faculté de théologie protestante de Paris, il écrivit, sur les résultats du nouvel enseignement moral, un rapport sincère et mécontent. L’intelligence française demeurait à demi close, et la conscience française était rétive à cette philosophie volontairement imprécise. Mais, sans se décourager, M. Buisson et ses auxiliaires, en faisant appel à quelques instituteurs de choix, poursuivirent leur œuvre. Qu’on lise toutes leurs publications, on y verra qu’ils ont été conduits, eux laïcisateurs de l’école, à faire planer sur cette école l’hégémonie latente, mais continuelle, de certaines conceptions philosophiques empruntées au protestantisme libéral. Volontiers dirions-nous que, dans notre enseignement primaire, le protestantisme libéral a ménagé la revanche de Dieu. Affichant fièrement son titre de « laïque », l’école était, non point sans doute pénétrée, mais tout au moins entourée, cernée par un ensemble d’idées et de sentimens, d’inspirations et d’aspirations qui étaient comme le legs d’une minorité confessionnelle, le protestantisme, et d’une fraction de cette minorité, le libéralisme : et ces idées et ces sentimens, ces inspirations et ces aspirations étaient, dans notre enseignement primaire, la part du divin.

On ne sera pas surpris, assurément, que les philosophes religieux auxquels en revenait l’honneur aient été salués comme des directeurs de conscience par les meilleurs de nos instituteurs, soustraits de bonne heure à l’Eglise, et jaloux néanmoins de rattacher à quelque formule, à une apparence de credo, leurs généreux désirs et leur besoin d’action morale. M. Buisson, il y a quelques années, inaugurait dans la Correspondance générale de l’enseignement primaire une sorte de consultation sur « l’âme de l’école » : une élite de correspondans et de correspondantes répondait à l’appel. Cette élite mérite et obtient une certaine influence ; et, grâce à elle, M. Buisson et ses collaborateurs sont devenus les maîtres de « l’âme de l’école », comme les préfets étaient les maîtres de l’école elle-même.


III

Il eût semblé logique que, cette année même, les instituteurs continuassent de conformer leur conduite électorale aux instructions des préfets, et qu’au contraire, de ces hautes autorités