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séculaires[1] ». On n’osait point constater cette insurrection philosophique, cette contradiction absolue. M. Ferrouillat célébrait « le Dieu de la philosophie, le Dieu de la raison, le Dieu des braves gens, le Dieu de la religion naturelle, la religion du Vicaire savoyard ». Les convenances de la discussion entraînaient les orateurs à se faire les émules de M. Jules Simon, à chercher une formule nette pour leurs convictions spiritualistes, et à la trouver à peu près. Mais, d’autre part, l’étrange aventure de l’expression « devoirs envers Dieu », exclue de la loi sur la demande de M. Jules Ferry, et rétablie dans les programmes par égard pour M. Jules Simon, attestait l’incohérence de la majorité novatrice à laquelle on faisait appel. Des ménagemens s’imposaient. M. Ferry, après avoir affirmé, le 23 décembre 1880, que la plupart des maîtres étaient spiritualistes, déclarait, non sans paradoxe, le 2 juillet 1881, que la morale de Spencer avait d’ailleurs les mêmes conclusions que celle de Kant ou de M. Jules Simon, et justifiait ainsi, par avance, les instituteurs qui se détacheraient du vieux spiritualisme. Un autre ministre, après avoir promis la neutralité confessionnelle, opposait fièrement sa propre philosophie aux doctrines chrétiennes du péché originel et du travail, et provoquait des questions inquiètes de M. le pasteur de Pressensé sur le caractère rationaliste, peut-être anti-confessionnel, du spiritualisme qui serait enseigné à l’école. Bref, au moment où les lois scolaires furent votées, il y avait eu trop de paroles, et trop de silences aussi, pour que les instituteurs fussent exactement au courant de ce qu’on attendait d’eux.

Dans les cadres scolaires que venait de bâtir une « concentration » bigarrée, il s’agissait de faire circuler un souffle, de mettre une vie, d’introduire une âme : c’est ici qu’intervinrent les pédagogues qui nous occupent. Représentée par les plus intelligens de ses adeptes, par des hommes qui retrouvaient dans l’Etat un poste supérieur à celui qu’ils avaient perdu dans leur propre Église, la tendance « protestante-libérale » s’exprimait en une langue à la fois riche et vague, aux contours ondoyans et moelleux, plus susceptible de rendre des impressions que des idées, et plus apte à traduire la religiosité qu’à définir un credo : langue discrète et courtoise, assez pieuse pour réfuter ceux qui dénonçaient « l’école sans Dieu », assez souple pour ne point choquer les politiciens qui traitaient Dieu en ennemi.

  1. Tarde, Revue pédagogique, 1897, p. 210.