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neuve, » où était logée, sans doute, une partie de la garnison. Enfin, « un monsieur, vêtu d’une redingote blanche, » vint recevoir les paysans de Sougeal et les invita à entrer au château : ils le suivirent docilement : Orain était le seul « à n’avoir pas l’air neuf et emprunté. » Reçus d’abord dans une chambre du premier étage, dans laquelle se trouvaient dix à douze personnes, on les fit presque aussitôt redescendre au rez-de-chaussée « pour se rafraîchir ». On leur servit « à manger plus en beurre qu’en viande », remarqua l’un d’eux ; un autre nota qu’on ne leur versa point de vin, mais seulement du cidre qu’ils burent en se tenant debout autour d’une table ronde. Dans un angle, trois gardes nationaux étaient couchés tout habillés sur des lits. On parla de M. le marquis que les « brigands avaient menacé de tuer ; » qu’il fallait se joindre à lui pour empêcher que la Bretagne ne fût pillée « par des troupes étrangères ; » Gervais Tuffin qui buvait avec les paysans ajouta que, pour le moment, d’ailleurs, ils avaient eu tort de venir et qu’on n’avait pas besoin d’eux.

À ce moment un aide de camp appela Orain et passa avec lui dans une chambre voisine où l’on disait que le marquis était couché.

— Voilà Orain qui veut décamper et nous laisser là ! insinua Julien le Pauvre.

— Ne craignez rien, riposta Tuffin, il est à parler avec monsieur.

Orain reparut après un quart d’heure d’absence. Il avait l’air satisfait et apprit à ses compagnons que « les choses étaient rentrées dans l’ordre ; que M. de la Rouerie allait devenir le seigneur de tout le pays ; qu’il était tranquille et qu’on ne lui en voulait plus. » Il tenait de « l’argent blanc » dans sa main et distribua vingt sous à chacun de ses hommes. C’est à ce moment que Pierre Lambert entendit quelqu’un faire cette réflexion :

— Quand le marquis sera le maître, il fera brûler Pontorson et Antrain.

Il fallait partir : les officiers de la Rouerie pressaient les paysans de regagner leur village, car le jour allait bientôt paraître, leur recommandant de s’en aller deux par deux et conseillant à ceux qui étaient armés « de dire, si on les rencontrait, qu’ils poursuivaient un lièvre. » Ils se hâtèrent d’achever leur collation et, par petits groupes, reprirent le chemin de Sougeal. Leur séjour au château avait duré un peu moins de deux heures.