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à bas prix le long des côtes, — on vend en 1556 à Cherbourg, pour 2 fr. 50, deux congres, deux maquereaux, un mulet, quatre soles, deux raies et une plie, — n’étant susceptible, au naturel, d’aucun commerce lointain, un procédé économique était le séchage, et le hareng, auquel on l’appliquait, alimentait les vendredis populaires.

Une simple remarque sur le coût du transport pour les denrées de cette nature : les huîtres en barils, au XIVe siècle, se vendaient à Paris 1 fr. 50 le cent ; les huîtres en écailles 9 fr. 50, c’est-à-dire le même prix qu’en 1898 ; le cent d’huîtres sans écailles valait au XVIe siècle, dans nos diverses provinces, 85 centimes, mais en coquilles, à l’intérieur des terres, il fallait les payer 5 francs. On observe des écarts analogues entre le hareng frais et le hareng saur, le premier valant trois ou quatre fois plus que le second. Celui-ci du reste était onéreux encore.

De nos jours, bien que l’on achète des harengs depuis 5 francs le cent, leur prix moyen peut être estimé à 11 francs. Lorsqu’ils se vendaient 3 francs vers 1375, ils avaient exactement la même valeur qu’aujourd’hui, en tenant compte de la différence du pouvoir d’achat de l’argent. Mais, à partir de cette époque jusqu’au règne d’Henri IV, ils augmentèrent sensiblement : les 6, 7 et 8 francs le cent qu’ils se vendirent dès lors, suivant les époques, correspondaient à 25 et 30 francs de notre monnaie. Le journalier actuel gagne, avec ses 2 fr. 50, une quantité approximative de 23 harengs. Dans la première moitié du XIVe siècle, il en gagnait juste autant ; mais, dans la seconde, le produit de sa journée n’équivalait plus qu’à 9 ; aux deux siècles suivans, elle est de 11 à 12 harengs.

Plus favorisé que le nôtre, les jours gras, puisque la viande coûtait beaucoup meilleur marché, le manœuvre du moyen âge est donc moins heureux, les jours maigres, que notre contemporain : le poisson lui revenait à un prix double ou triple. Or les jours maigres constituaient la moitié de l’année et le hareng, que j’ai choisi comme type, était le plus accessible de tous les poissons pour la bourse de l’homme de labeur. C’est celui que l’on donnait dans les hôpitaux, celui que l’on distribuait aux pauvres en aumône. En 1429, année de la victoire de Rouvray, remportée par l’armée anglaise sur les troupes de Charles VII, pendant le siège d’Orléans, — bataille connue dans l’histoire sous le nom de « journée des harengs », — ce poisson coûtait à Orléans 14 fr. 50 le cent ; il valait 6 fr. 15 à Paris, où le convoi avait