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l’ont cru quelques historiens, parce que le vin a surtout été coûteux à l’époque où il n’y avait que peu ou point de droits, c’est-à-dire jusqu’à Louis XI.

Si la boisson nationale devint ainsi plus abordable aux petites bourses, si, malgré les taxes dont elle fut l’objet, elle diminua plutôt que d’augmenter, c’est que le domaine vinicole a dû s’élargir singulièrement de 1450 à 1600 dans notre pays. Il n’en fut pas ainsi partout : en Angleterre le prix des vins, au XVIe siècle, était de 50 à 60 francs l’hectolitre ; nos voisins consommaient surtout, à vrai dire, du vin de Bordeaux, sans parler du vin d’Espagne, qu’ils payaient 1 franc le litre sous Elisabeth, tandis que beaucoup de nos petits vins n’étaient pas très recommandables. Sur le continent, on peut parcourir toute la gamme des jus de raisins depuis le rousset du Comtat-Venaissin, à 3 francs l’hectolitre, en 1530, jusqu’au bourgogne le plus délicat payé à Bruxelles, la même année, 260 francs, pour être servi sur une table princière.

Comparons aux salaires, selon le but de cette étude, le vin, qui passe pour absorber 6 pour 100 environ de la dépense annuelle des classes populaires : de nos jours, à 30 francs l’hectolitre, la journée du manœuvre, payé 2 fr. 50, équivaut à 8 lit. 33 de vin ; elle en représentait 9 litres au XIIIe siècle, 4 litres et demi seulement au siècle suivant, 6 litres au début de la Renaissance. Sous François Ier, elle correspondit à 8 litres et se réduisit à 4 litres sous Henri III. Mais, quoique le salaire, évalué en vin, eût ainsi baissé de moitié au XVIe siècle, il se trouvait cependant à peu près égal à ce qu’il avait été deux cents ans plus tôt ; tandis que, pour le blé ou la viande, la situation du journalier était bien différente.

Pour la bière, pour le cidre surtout, dont la consommation en France est plus récente que celle du vin, les observations recueillies remontent moins haut. La bière ou cervoise, fabriquée avec l’orge et l’avoine, dépend naturellement du prix de ces deux sortes de céréales. Rien d’étonnant si cette boisson revient à 11 francs l’hectolitre au XIVe siècle, où les grains étaient chers, si elle baisse au XVe siècle à 5 francs et si elle s’élève de 1526 à 1600 à 18 francs ; chiffre peu différent, intrinsèquement, de celui des bières actuelles, évaluées à 25 francs l’hectolitre, mais, relativement à notre monnaie, plus fort du double ou même davantage.

Suivant leur saveur et leur degré alcoolique, il y avait, comme