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des années d’exceptionnelle abondance. Les paysans languedociens ou provençaux furent réduits plus d’une fois au XVe siècle, après avoir rempli les futailles et les vases disponibles, à cesser de vendanger, laissant perdre, faute de débouchés, leurs raisins à la branche.

Pour le vin, comme pour le blé, l’irrégularité des récoltes influait sur les prix avec une violence dont nous pouvons difficilement nous faire idée, aujourd’hui que le commerce, faisant contrepoids à ces oscillations, absorbe ou rejette tour à tour sur le marché des quantités énormes de ce liquide. A la fin du XIIe siècle, le vin variait dans la région parisienne de 5 à 20 francs l’hectolitre, suivant qu’il s’agissait de crus locaux ou de futailles importées de Bourgogne. Sous les règnes de Philippe-Auguste et de saint Louis, le maximum — d’après les chiffres que j’ai recueillis — paraît être, pour l’ensemble du territoire, de 26 francs l’hectolitre, le minimum de 2 fr. 50 à Agen (1251). La moyenne qui, durant cette période, s’était maintenue aux environs de 7 francs passa tout à coup à 19 francs dans le siècle suivant (1276-1375). Il était donc, comparativement au coût général de la vie, beaucoup plus cher qu’à l’heure actuelle, où l’on peut l’évaluer à 30 francs. Le chiffre de 19 francs était dépassé en Ile-de-France et dans le Nord ; il était loin d’être atteint en Guyenne. Le « vin de Gascogne » expédié en Artois s’y négociait pour 23 francs l’hectolitre, tandis que le Bourgogne, rendu à Paris revenait à 43 francs. Encore était-ce une qualité courante ; car il montait jusqu’à 100 et 150 francs, s’il s’agissait de certains vins de Beaune ; « vins de présent » et « d’honneur », si renommés parmi les gourmets, que le désir de ne pas trop s’éloigner de la source d’une si précieuse liqueur avait, au dire de Pétrarque, beaucoup de part à la répugnance des cardinaux d’Avignon pour le retour du pape à Rome.

Ces vins-là se vendaient en « flacon » ; la presque totalité des autres étaient bus « à la pièce », chez les rois comme les vilains. Cette recherche moderne de mettre son vin en bouteilles, que le plus modeste bourgeois d’aujourd’hui s’offre pour des boissons ordinaires, les chevaliers n’en usaient que pour des vins de dessert comme le grenache, ou le « vin grec » venu de contrées lointaines. Le prix élevé des récipiens de verre forçait à laisser vieillir le vin dans des fûts.

Avec la fin du XVIe siècle et la première moitié du XVe se produit une baisse légère : l’hectolitre ne se vend plus que 14 francs,