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qui a varié depuis six siècles, et les clos bordelais, par exemple, donnaient-ils, au temps de la domination anglaise, le même jusqu’en 1898 ? Peut-être, puisque rien ne démontre qu’une bouteille de Château-Laffite soit intrinsèquement meilleure qu’un litre de « petit bleu » et puisque, l’on aurait beau disserter, on n’arriverait pas à s’entendre sur ce qu’il convient d’appeler « piquette » et sur ce que l’on doit nommer « bon vin ». Le cru de Rebrechien près Orléans, qui faisait les délices du roi Henri Ier (1050), devint ensuite si déprécié qu’il fut défendu, à la fin du XVIe siècle, de le jamais servir sur la table royale. Le vignoble auvergnat de Saint-Pourçain est de tous le plus en vogue au temps des premiers Valois, et peu de gens, même en Auvergne ou en Bourbonnais, connaissent maintenant son nom.

Nos pères, toutefois, devaient avoir les mêmes appétences que nous, en fait de vin ; plusieurs observations le prouvent. Ils fuyaient l’acidité autant qu’il était en leur pouvoir et n’épargnaient pas les quolibets aux « tord-boyaux » — ainsi les nommaient-ils — du Cotentin ou du pays d’Auge. Les gens de l’Ouest recherchaient les vins « français », c’est-à-dire récoltés en Ile-de-France, et les habitans de cette dernière province importaient les produits de Bourgogne et du Centre. Quoiqu’il fût de règle d’interdire, dans l’intérêt des viticulteurs locaux, l’importation des vins étrangers, et, dans l’intérêt des consommateurs, l’exportation des vins du pays, le vin circulait néanmoins aux temps féodaux ; mais il ne circulait que par mer et, par les voies fluviales, dans le sens de la descente.

Le privilège de la position primant la qualité du vignoble, l’effort des propriétaires se porte exclusivement sur les terroirs faciles à exploiter et, si beaucoup de clos n’ont été appréciés que fort tard, c’est peut-être simplement que naguère ils n’existaient pas. Cette difficulté des transports poussa l’agriculture, dans le Nord, au début du XVIe siècle, à planter partout des vignes. On voit à cette époque disparaître, des comptes de beaucoup d’hospices, toute espèce d’achat de vins ; tandis que, parmi les dépenses de la maison, apparaissent des frais de vendange. Les pouvoirs publics, de leur côté, commencèrent à défendre l’extension du territoire viticole ; la peur de voir se restreindre le sol réservé au blé inspirait ces prohibitions. La difficulté des transports, qui maintenait, en deçà de la Loire, les vins à un prix assez haut, les faisait descendre à rien dans les régions du Midi, lors