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2 700 grammes de bœuf ; à la fin du règne de Henri III, il n’en gagnait plus que 1 850 grammes. « Du temps de mon père, écrit un auteur en 1560, on avait tous les jours de la viande, les mets étaient abondans. Mais aujourd’hui tout a bien changé ; la nourriture des paysans les plus à leur aise est inférieure à celle des serviteurs d’autrefois. » Si quelqu’un, en effet, eut le droit de vanter le passé, ce fut certainement l’homme de labeur de la fin du XVIe siècle, lorsqu’il comparait son sort à celui de ses aïeux immédiats. C’est en vain que l’échevinage subventionne parfois les bouchers, — suivant l’usage socialiste de l’époque, — « pour qu’ils n’augmentent pas le prix de la viande ». Le renchérissement revêtit l’aspect d’une calamité publique ; les luthériens eux-mêmes, en Alsace, défendirent d’abattre aucun bétail pendant le carême ; mesure qui demeura en vigueur, dans cette province, un siècle après l’introduction du protestantisme.

Peut-être y a-t-il un atavisme de l’estomac ? la privation ne fut pas acceptée sans murmure par les classes laborieuses. « Le pauvre peuple de Normandie, disaient les doléances de 1584, est à présent réduit en telle extrémité qu’il n’a moyen de manger chair ; ains se nourrit de fruitages et de laitages. » A Nîmes, où la consommation de la viande est présentement de 55 kilos par tête et par an, elle était tombée en 1590 à 1 kilo et demi ; ce qui explique le proverbe languedocien de cette époque : « Ail et viande, repas de richard ; ail et pain, repas de paysan. » La vérité, c’est que le haut prix des céréales forçait l’ouvrier à consacrer au pain presque tout l’argent qu’il employait naguère à l’ensemble de sa nourriture. La viande était, en somme, trois fois moins chère encore que de nos jours, tandis que le blé coûtait le même prix qu’aujourd’hui, et les salaires n’atteignaient pas le tiers des nôtres.

Le bœuf se payait, à la fin du XVIe siècle, 42 centimes le kilo en moyenne ; mais la graisse destinée au potage valait 1 fr. 30. Cet écart énorme, — juste l’opposé de celui que nous voyons maintenant, — montre que les animaux consommés étaient plus nerveux et plus membrés que gras. Aussi le cuir est-il abondant, tandis que le suif est rare ; et pendant que les souliers coûtaient cinq fois et demi moins que les nôtres, les chandelles se vendaient un tiers de plus qu’aujourd’hui. La même disproportion existait entre le porc, qui valait 45 centimes et le lard, qui se vendait 1 fr. 20 le kilo.

Quand on entend les Normands se plaindre, sous Henri III,