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marchands ne tenaient pas à voir piller leurs réserves. Mais l’année n’était pas révolue que déjà le blé, aux Halles parisiennes, sautait à 9 francs puis à 18 francs. Deux ans après, c’est au tour d’Orléans à connaître les difficultés de l’alimentation : le blé y monte à 32 francs l’hectolitre, lorsqu’il ne valait à Paris que 25 francs, et, ce qui paraît incroyable, 1 fr. 50 en Normandie, 4 fr. 20 en Angleterre, et 3 fr. 70 en Alsace.

La famine va et vient ; elle se promène de l’est à l’ouest et visite tantôt une ville, tantôt l’autre. C’est un fléau familier, comme aujourd’hui la peste ou la fièvre jaune en certaines parties du monde. On s’y attend, on s’y résigne, ainsi qu’à une force indomptée de la nature. A Limoges, en 1433, le blé vaudra 19 francs ; il retombe en 1434 à 4 francs. Alors que le Limousin retrouve le cours normal, le Languedoc le reperd : le blé passe de 5 francs, en 1436, à 24 francs en 1437. Paris, qui payait alors le sien 7 francs, le paie 18 francs en 1438.

Toutefois, à partir de 1440, la situation s’améliore, les cours s’affaissent lentement. Les subits et terribles gonflemens des chiffres, symbole du dénûment des estomacs, du désert de la huche à pain, se font rares. Ces chutes et ces ascensions vertigineuses dans les cours ne vont plus être annuellement constatées. La moyenne française se trouve, par suite des bas prix de 1441-1450, de 6 fr. 70 l’hectolitre, semblable intrinsèquement, après beaucoup de vicissitudes, dans le deuxième quart du XVe siècle, à ce qu’elle avait été en 1326-1350. Mais les 6 fr. 70 du XIVe siècle ne correspondaient qu’à 23 francs de 1897 et les 6 fr. 70 de 1426-1450 équivalente 30 francs des nôtres. Ainsi le blé était plus cher, en proportion des autres denrées, sous Charles VII que sous Philippe de Valois. L’Angleterre le payait alors un tiers de moins que nous.

Avec le milieu du XVe siècle commence cette ère de prospérité matérielle — les sept vaches grasses de notre histoire — qui durera jusqu’à la première partie du règne de François Ier. En 1451-1475, le blé baissa de moitié par rapport à la période antérieure : de 6 fr. 70 il tomba à 3 fr. 25, plus bas qu’à aucune autre date, plus bas même que sous Philippe-Auguste, où il avait valu 3 fr. 80. En 1476-1525, il ne s : éleva pas en général au-dessus de 3 francs pour l’ensemble du royaume. Comme le calme politique dont on jouissait alors ne garantissait pas le paysan de l’inclémence des saisons et des disettes qui en résultaient, — le grain valut en