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à 2 fr. 50, a connu des cours de 14 francs l’hectolitre ; l’Alsace, que l’on trouve à 28 francs, vendait son blé 2 fr. 60 en 1318.

Quelque normale que soit la récolte, les prix ne s’unifient jamais complètement ; et pour peu que le rendement éprouve quelque diversité, comme en 1344, on voit le grain valoir 1 fr. 40 à Montauban, tandis qu’il atteint 7 fr. 25 dans un département voisin du Languedoc, et se vendre 3 fr. 50 en Normandie, lorsqu’il s’élève à Paris à 17 fr. 25. La période 1351-1375 fut la plus chère des temps féodaux : la moyenne du blé en France s’éleva à 9 francs l’hectolitre. Ces vingt-cinq ans des règnes de Jean le Bon et de Charles le Sage furent aussi ceux où le pouvoir de l’argent devint le plus faible, où la vie était la plus coûteuse[1] ; mais l’augmentation des céréales dépassait de beaucoup la dépréciation du numéraire. En 1375-1400, au contraire, le prix moyen du blé diminua de moitié : de 9 francs l’hectolitre il descendit à 4 fr. 65. En France du moins, puisque, d’après les chiffres recueillis par Cibrario, il haussa encore en Piémont de 12 à 15 francs et qu’en Angleterre il baissait seulement de 7 à 5 francs.

Les prix tendirent aussi à se rapprocher d’un point à un autre : en 1384, le froment vaut à Paris et aux environs 4 francs ; à Dijon 4 fr. 60 ; à Albi 5 fr. 60 et à Arras 6 fr. 40. Il n’en est pas de même dans la période suivante (1401-1425), la plus aiguë de la guerre de Cent ans. De 4 fr. 65 il remonte en moyenne à 7 fr. 20, — correspondant à 31 francs de notre monnaie. — Non qu’il n’y ait eu des trêves, des heures d’accalmie, ou des districts plus ou moins éprouvés : ainsi, durant cette période, la Normandie ne paye son blé que 3 francs l’hectolitre, l’Alsace que 4 francs, l’Orléanais que 7 francs, tandis qu’il coûte 10 francs en Roussillon, 16 francs en Champagne et Ile-de-France et 50 francs en Languedoc.

Ce chiffre prestigieux de 50 francs a pour cause les famines dont la région du Midi eut à souffrir, de 1418 à 1428, presque sans interruption. Après s’être vendu, en 1417, 2 fr. 20 seulement à Albi, le froment monta dans cette ville à 29 francs pendant les douze mois suivans, alors qu’à Paris il tombait à 1 fr. 50, prix extraordinaire, motivé, dit le chroniqueur, « par la crainte de la venue des gens de guerre. » C’était le temps où les Armagnacs et les Bourguignons ensanglantaient alternativement la capitale ; les

  1. Voyez notre ouvrage sur la Fortune privée à travers sept siècles.