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dans cette ville par suite de la guerre avec le roi de France. »

Le cours du blé ne pouvait pas, même quand la récolte manquait, s’élever ad infinitum. Au-dessus d’un certain chiffre, les pauvres devaient s’en passer ; ils mangeaient autre chose, ou ils mouraient. Le blé, en haussant, devenait de luxe et la demande en diminuait ; mais le besoin ne diminuait pas. La demande ici ne se proportionnait pas au besoin, quelque cuisant qu’il pût être ; les nécessiteux n’étant plus en mesure de disputer cet aliment, qui leur échappait, à l’élite des gens riches ou aisés.

Sans aller jusqu’à la famine positive, les brusques changemens de valeur du grain étaient très douloureux pour la masse. Le blé, ou si l’on veut le pain, qui varie beaucoup en prix, ne varie pas beaucoup en quantité dans la nourriture. Il tient ainsi, selon qu’il augmente ou diminue, une place plus ou moins grande dans le budget du journalier. Et si sa baisse, en deçà d’un certain chiffre, est de moins en moins sensible, sa hausse, au-delà d’un certain autre chiffre, devient de plus en plus douloureuse. Le peuple en un mot profitait peu des grandes baisses et souffrait beaucoup des grandes hausses. Que le kilogramme de blé, au lieu de valoir régulièrement 10 centimes, vaille le triple pendant un an — soit 30 centimes — et le quart pendant l’année suivante — soit 2 centimes et demi — il ne s’établit de ce chef aucune compensation ; du petit ménage, qui n’épargnera, durant l’abondance, que 7 centimes et demi sur ses frais de bouche, on exige, durant la famine, 20 centimes de plus pour les mêmes fournitures. Un pareil manque d’équilibre réduisait infailliblement à la misère, quand il survenait, la moitié des ouvriers. Il est très rare, à vrai dire, de voir des variations subites du simple au décuple ; ce qui était assez fréquent, c’était une hausse du quadruple, qui faisait passer l’hectolitre de 3 à 12 francs, de 4 à 16 francs ; comme si, de 20 francs aujourd’hui, le blé montait tout à coup à 80 francs.

Les provisions, que les villes accumulaient, ne suffisaient pas à les garantir de ces brusques fluctuations ; il n’y avait pas entre les bonnes et les mauvaises années d’intermittence suivie. La cherté et le bon marché, qui se succédaient à des intervalles inégaux, se jouaient des combinaisons et des calculs de l’édilité urbaine. A plus forte raison défiaient-elles la pauvre prévoyance des campagnards isolés, qui n’avaient ni les capitaux, ni les locaux, ni les loisirs nécessaires, pour lutter avec succès contre les caprices des cours. Aussi l’un des résultats des hausses exagérées