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lui par vanité. » Laffitte était un homme de gauche et c’est maintenant les hommes de gauche, les libéraux, qui, plus encore que les ultras, portaient ombrage à Richelieu. « Nous avens battu l’aile droite, elle est à terre, laissons-la en repos et réunissons nos forces contre l’aile gauche bien autrement redoutable, car elle a de fortes réserves derrière elle. N’y aurait-il donc pas moyen de détruire cette alliance monstrueuse entre les libéraux et les bonapartistes ? »

Il est remarquable, pourtant, que, tout en poussant ce cri de guerre contre la gauche, Richelieu ne manquait pas de signaler les imprudences et les fautes commises à la cour, par les princes ou même par le Roi. Pendant son séjour à Paris, l’empereur de Russie, invité à dîner aux Tuileries, avait été péniblement surpris de ne voir à la table royale ni le Duc d’Orléans, ni la Duchesse. Revenu à Aix-la-Chapelle, il avait fait part de sa surprise à Richelieu. Et celui-ci de s’écrier : « Cela n’a vraiment pas le sens commun, et si telles étaient les anciennes étiquettes, il serait temps de les abroger. Nous avons assez d’embarras sans nous en donner davantage en blessant l’amour-propre d’un homme qui n’est pas sans quelque importance. » De même, il relevait une grave inconvenance du Duc de Berry qui, donnant un bal, ne voulait pas y inviter le maréchal Gouvion-Saint-Cyr : « J’espère bien que le Roi aura eu le crédit sur son neveu de lui faire prier le Maréchal. Ce serait un scandale intolérable et un soufflet pour le Roi lui-même qui garderait un ministre que le duc de Berry ne voudrait pas recevoir[1]. « Et cette observation en faveur du ministre de la Guerre, que cependant il n’aimait pas, fournissait à Richelieu l’occasion d’insister sur l’utilité qu’il y aurait à réconcilier le ministère avec Monsieur : « Je ne cesserai de vous le dire et de vous le répéter, il faut que ce soit vous et il n’y a que vous de qui et par qui la chose puisse être utile. »

Ces préoccupations et ces propos témoignaient de plus de calme que les lettres antérieures et d’un retour à l’espoir de sauver son pays. Mais, à quelques jours de là, de nouveau le pessimisme l’emportait dans cette âme impressionnable, lui dictait des accens quasi prophétiques : « Je rentrerai en France avec un serrement

  1. Les ministres reçurent du Roi l’ordre formel de ne pas se rendre au bal du Duc de Berry si le maréchal Gouvion-Saint-Cyr n’était pas invité. Le prince céda. Mais il reçut très mal le ministre de la Guerre, et de même Decazes et Pasquier, qui faisaient, en cette circonstance, cause commune avec leur collègue.