Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre l’empereur Alexandre, et, de ces faits non encore élucidés, on tirait cette conclusion que, partout, les révolutionnaires s’agitaient. De là à voir un témoignage de leur audace dans les élections de France, il n’y avait qu’un pas. L’atmosphère en laquelle vivait Richelieu ne le disposait que trop à prendre ombrage de tout ce qui pouvait compromettre le succès des négociations diplomatiques au moment où elles allaient aboutir.

Cependant, il ne tardait pas à se remonter. Après avoir reconnu que, si Decazes « était un peu trop le médecin tant mieux, lui-même était trop le médecin tant pis », il déclarait qu’il fallait prendre son parti, « car se désespérer ne ferait rien à la chose. Mais, ajoutait-il, la couleur révolutionnaire des élections en général est bien faite pour absorber toute notre attention. Il est bien évident que nous n’avons à attendre qu’un progrès dans la marche de l’opinion ultra-libérale, et la liberté des journaux, à laquelle il faut s’attendre à présent plus que jamais, lui fera faire des pas de géant. Sans beaucoup de pénétration, on peut calculer le moment où la majorité sera acquise à cette faction et où le gouvernement n’aura plus pour la combattre que la voie des coups d’Etat, voie toujours dangereuse et incertaine. Il faut donc bien réfléchir si, d’ici à cette époque bien peu éloignée, on peut trouver le moyen d’éviter cette invasion, sans quoi la postérité et peut-être nos contemporains nous rendront (responsables des maux qui accableront notre triste patrie.. Adieu, je suis triste et vois bien en noir notre avenir ; le mien se présente sous les plus sombres couleurs, car, si cela va mal, il n’y aura pas moyen de s’en aller, et rester serait pour moi cent fois pis que de mourir. »

Ce n’était pas la première fois qu’il faisait allusion à son désir de retraite. Mais Decazes feignait de ne pas comprendre, s’efforçait de le rassurer, et l’adjurait de ménager sa santé, « si précieuse pour le Roi… Nous avons besoin de nous voir pour nous entendre et concerter ce que nous avons à faire. Il est bien instant que vous reveniez le plus tôt possible. » Ces encouragemens trouvaient Richelieu redressé, embrassant déjà par la pensée l’hypothèse d’une politique plus homogène, plus claire, plus ferme. « Nous avons toujours trop peur de certaines gens et nous voyons ce qu’on gagne à les ménager. Mettez donc hors de la Banque ce M. Laffitte, qui se croit le roi des Halles et qui n’est qu’un écervelé, qui ne sait ni ce qu’il veut ni ce qu’il fait, et qui ruinerait la France et