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« Certes, j’ai bien bonne opinion de tes moyens de plaire et de persuader, mon cher fils ; mais je ne partage pas l’opinion de Richelieu sur la facilité que tu auras à convertir ton oncle (le Comte d’Artois) et je trouve que l’exemple de Sp. (le Duc d’Angoulême) ne prouve rien. Sp. partit au mois d’octobre 1815 tout aussi ultra que les autres, mais bien déterminé à obéir, — sa lettre au duc de Richelieu en fait foi, — et de plus, avec cette droiture naturelle qui ne fuit point la lumière. Ce qu’il vit le frappa… Il ne revint pourtant qu’ébranlé, mais assez pour que tu pusses commencer l’ouvrage qui ne fut pas fait en un jour. Rappelons-nous la question faite à B***, la colère de la destitution de F***, et la fatale lettre du 14 janvier. Tout cela n’était heureusement que des retours vers le vieil homme, la grâce avait agi et ton ouvrage l’acheva. Avons-nous les mêmes données à l’égard de Monsieur ? Je crois que, sans se l’avouer, il sent de l’attrait pour toi et que si tu voulais ! ! ! En un mot, ce qui les différencie, c’est que Sp. n’est pas attaqué de cette maladie que Virgile nomme : Regnandi tam dira cupido. »

Les craintes que trahit cette lettre se réalisèrent. Après quelques intermittences de bonne grâce et de mauvaise humeur, Monsieur retomba sous l’empire de la coterie qui l’excitait contre Decazes. Entre temps, les négociations poursuivies à Aix-la-Chapelle avaient marché vers un dénouement heureux. Le 9 octobre, le Congrès décidait que les armées étrangères évacueraient le territoire français le 30 novembre au plus tard ; les facilités les plus grandes étaient accordées à la France pour le paiement de l’indemnité de guerre qui subissait une réduction importante. Ce premier succès de Richelieu n’était que le prélude d’un succès plus considérable encore : l’admission du gouvernement royal dans l’alliance des quatre grandes cours. On apprenait en même temps que l’empereur de Russie et le roi de Prusse venaient à Paris, afin de présenter leurs hommages à Louis XVIII, et ce qu’on savait bientôt des circonstances de leurs entretiens avec lui contribuait à flatter l’amour-propre national, si longtemps humilié par l’occupation étrangère. Mais ces grands événemens n’apportèrent qu’un répit dans le trouble et l’animosité des esprits.

Les élections pour le renouvellement du cinquième de la Chambre avaient lieu au même moment. D’Aix-la-Chapelle, Richelieu en suivait la marche avec angoisse :

« Tout le monde a peur de ce qui peut arriver en France et