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amoindrir les privilèges pour ne pas exciter la jalousie des autres corps de l’armée, c’est porter la main sur l’arche sainte, sur la réserve sacrée, c’est saper dans sa base le plus solide rempart de la monarchie. Tel est le sentiment de Monsieur. Ses récriminations trouvent des échos dans sa famille. Le Duc de Berry est furieux ; la Duchesse d’Angoulême est mécontente ; son mari lui-même, toujours si modéré et si souvent d’accord avec les ministres du Roi, ne peut se défendre de réclamer la révision des ordonnances du ministre de la Guerre. « J’ai toute confiance en vous, pour réparer le mal qu’elles causeraient, écrit-il à Decazes. Si on me dit que je les avais lues, je répondrai que ce n’est pas seul qu’on peut trouver tous les in convenions qui se trouvent dans une aussi longue ordonnance que celle du 2 août, et je puis d’autant plus le dire et ne pas me le reprocher que je suis sûr que la presque totalité des membres du Conseil du Roi ne les avait pas aperçus. Ces ordonnances sont faites et rédigées avec bien de l’astuce et de la perfidie. Je crois le Maréchal un brave et honnête homme. Mais, il ne rédige rien par lui-même et il est entouré de gens bien dangereux et qui nous haïssent bien cordialement. »

Cette fois, Richelieu se sépare nettement de Decazes dans les appréciations que leur suggèrent à tous deux ces mesures. Devant les colères de l’ultra-royalisme, qui lui paraissent légitimes sur ce point, bien qu’il en blâme la violence, Richelieu gémit et se décourage. Il ne se sent plus en état de tenir tête aux tourmentes. Il commence à être épouvanté de se voir l’instrument d’une politique qui consiste à frapper les royalistes, à les combattre, à leur résister. On le sent hanté par le désir de quitter le pouvoir. Lorsque, à la fin de septembre, il part pour Aix-la-Chapelle, il semble revenu aux idées de retraite prochaine qu’il a exprimées déjà à plusieurs reprises[1]. En partant, il recommande à Decazes de ne rien faire, en son absence, qui engage la politique ministérielle. Il veut trouver à son retour les choses en l’état où il les laisse, et il aime à penser que les élections qui auront lieu en octobre pour le renouvellement du cinquième de la Chambre des députés, en montrant aux ultra-royalistes que la France n’est pas avec eux les modéreront, les rendront plus

  1. Avant de partir, il alla déclarer au Roi qu’il se retirerait aussitôt après le Congrès. Sur le conseil de Decazes, le Roi écrivit à l’empereur de Russie pour le prier d’intervenir auprès de Richelieu sur qui il avait beaucoup d’influence pour le décider à rester au pouvoir. J’ai sous les yeux la minute de la lettre royale, trop longue pour trouver place ici.