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l’extrême droite réclame déjà tout ce qu’elle réclamera en 1828. Il ne servirait de rien de lui faire des concessions partielles. Elle n’en serait pas satisfaite. Elle ne saurait l’être que lorsqu’on lui aura tout livré. Decazes en est convaincu. Aussi proteste-t-il, lorsque Richelieu et Lainé mettent en avant l’idée d’un rapprochement avec les hommes de l’extrême droite. Il considère que ce n’est pas aux ministres à aller aux ultras, mais à ceux-ci à faire le premier pas vers les ministres : « C’est eux qui doivent se rapprocher et sans condition. » Telle est aussi l’opinion de Louis XVIII ; on ne saurait trop mettre en lumière sa loyauté, dans ces circonstances, l’esprit de résolution qu’il déploie pour défendre contre les factions ses conseillers, et surtout celui qui s’est ouvert son cœur et l’a conquis.

Un jour, on a vu arriver à Paris Blacas, son ancien favori, maintenant ambassadeur à Rome. Blacas a quitté son poste sans prendre même la peine de solliciter l’agrément de son ministre. Il est venu, d’accord avec les ultras, pour leur prêter l’appui de son influence, qu’il croit encore toute-puissante sur l’esprit du Roi. Richelieu commence par feindre de n’être pas offensé du procédé. Mais, quand il s’est convaincu que le voyage de Blacas se lie à une intrigue ourdie contre le cabinet, il exige son départ immédiat. L’ambassadeur résiste. Sur la demande formelle de Richelieu et de Decazes, le Roi intervient, ordonne, et Blacas est contraint de repartir. Chateaubriand, dont les attaques dans le Conservateur ont irrité le Roi, est l’objet d’une disgrâce pareille. Mais, pour lui, elle ne cesse pas, son attitude hostile ne s’étant pas modifiée. Le maréchal Marmont, pour une lettre que le Roi juge offensante, est également frappé. Puis, c’est le baron de Vitrolles, ministre d’État, le confident, le factotum de Monsieur, dont le Roi n’hésite pas à châtier la conduite. Au moment où le Congrès d’Aix-la-Chapelle va se réunir, Vitrolles, avec l’assentiment du Comte d’Artois, a expédié aux souverains qui doivent y être représentés une note secrète qui n’est qu’une philippique contre le cabinet. Suivant le rédacteur de cette note, la révolution, dans la France des Bourbons, occupe tout, tient tout, domine tout jusqu’au monarque lui-même, Si l’on veut remédier au mal, il faut changer les ministres, et Vitrolles espère que l’intervention de l’Europe obligera le Roi à les changer. Cette note, livrée à la publicité par l’indiscrétion d’un intermédiaire, offense Louis XVIII, comme elle a blessé ses ministres. D’un trait de plume, il raye Vitrolles de la liste des ministres