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sœurs, avec qui il entretient des relations affectueuses, dont il fréquente le salon, et à l’influence desquelles il s’abandonne volontiers, car « c’est son défaut de manquer trop souvent de confiance en lui-même ». Laissons la duchesse Decazes nous tracer un crayon de ces grandes dames, qu’il est utile de ne pas séparer de leur frère, si l’on veut s’expliquer ce qui peut paraître contradictoire dans ses opinions et sa conduite politique : « L’aînée, Madame de Montcalm, amie de mon père et chez qui, comme jeune fille, j’allais souvent, avait une très jolie figure. D’un caractère difficile, violente, despote, elle était l’ennemie des idées libérales adoptées par le ministère. Elle voulait gouverner ses amis. Lorsque mon père alla lui annoncer mon mariage avec le comte Decazes, elle entra dans une telle fureur qu’à partir de ce moment, il ne vint plus chez elle que de loin en loin… Madame de Jumilhac, moins violente que sa sœur dans ses opinions et surtout dans ses expressions, pensait en tout comme son frère. Je crois qu’elle aurait accepté toutes les idées d’un ministère dont son frère aurait fait partie. D’une très mauvaise santé, elle était toujours sur son canapé. Je crois qu’il y avait plus de coquetterie que de maladie, car, je me rappelle, moi, petite fille, toute seule avec elle, de l’avoir vue marcher et s’agiter beaucoup dans sa chambre. Déjà, avant mon mariage, les idées libérales de mon père avaient beaucoup refroidi leur intimité. »

On connaît maintenant le milieu où vit habituellement le chef du cabinet de 1818. Il n’est pas étonnant qu’il n’avance qu’avec timidité dans la voie où l’entraîne Decazes. Il faut même l’admirer, avec les préjugés de naissance et d’éducation qu’on doit lui supposer, d’avoir consenti à se faire l’artisan d’une politique libérale et à encourir de ce chef le ressentiment des ultra-royalistes. Tel qu’il est, il plaît à la France ; elle l’estime et l’honore. Ami de l’empereur de Russie, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet qui porte son nom devant l’histoire, signataire de la paix de 1815, on vante sa modération, son désintéressement, et surtout son habileté diplomatique. Au moment où, dans les derniers jours de septembre, il va partir pour Aix-la-Chapelle où doivent être négociées les conditions de la libération du territoire, on attend beaucoup de lui ; on espère qu’il rendra ces conditions moins onéreuses.

Quoique d’origine plébéienne, Lainé, ministre de l’Intérieur, est celui des membres du cabinet dont les opinions se rapprochent