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passions et des haines que trente années de révolutions et de guerres ont léguées à la patrie, il s’est efforcé de gouverner avec modération, avec sagesse. L’ordonnance royale du 5 septembre 1816 a prononcé la dissolution de la Chambre introuvable. La loi du 5 février 1817 a inauguré le règne de la classe moyenne en lui confiant presque exclusivement le choix des représentans de la nation. La majorité ultra-royaliste vaincue, le cabinet régénéré, fortifié par les modifications intérieures qu’il s’est imposées, Decazes, qui y exerce une influence prépondérante, s’est donné pour but « de nationaliser la royauté et de royaliser la France ». Il a convaincu ses collègues de la nécessité de poursuivre ce but.

Il s’en faut cependant qu’ils soient tous des libéraux. Richelieu, quoiqu’il ne partage pas les préjugés de l’émigration, englobe dans une défiance commune, — même lorsque, dans une certaine mesure, il bénéficie de leurs votes, — les hommes de la Révolution et ceux de l’Empire. Tout en considérant comme des fous les partisans de l’ancien régime et redoutant leurs extravagances, il gémit d’avoir dû se séparer d’eux. Il les tient, en dépit de leurs fautes, pour de sincères amis du roi, et voudrait les reconquérir. Il les ménage le plus qu’il peut, bien qu’il ait compris qu’il faut les contenir et les paralyser. Il met plus de soins encore à ménager leur chef, Monsieur, Comte d’Artois.

Le duc de Richelieu est du reste le type accompli du gentilhomme et du grand seigneur, « poli sans affectation de politesse, dit de lui la duchesse Decazes[1], digne sans raideur et d’une noblesse d’âme, d’un désintéressement dont les circonstances en lesquelles il quitta le pouvoir permettent de mesurer l’étendue ». Il est marié, mais on ne voit jamais sa femme. Elle vit au château de Courteille, près Verneuil, en Normandie. « On raconte qu’étant déjà fiancée au duc de Richelieu, elle eut la petite vérole. Elle en resta toute défigurée et déformée. On crut alors que le fiancé trouverait un prétexte pour rompre une union avec une personne que la maladie avait si cruellement frappée. Mais il n’en exprima pas le désir ; le mariage eut lieu et, quoique souvent séparés, les époux n’usèrent jamais que de bons procédés l’un envers l’autre. Ils n’eurent pas d’enfans. »

A défaut de sa femme, ordinairement éloignée, le duc a deux

  1. Pour éviter de multiplier les annotations, je constate une fois pour toutes que, sauf de très rares exceptions, je ne cite dans ces récits que des documens non encore publiés.