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France, où elles croient toujours trouver à se placer. Quelques couturières ou modistes, rebutées à Paris par la difficulté du métier, seraient bien disposées à tenter l’aventure. Mais l’industrie des marchandes, de modes ne paraît pas encore très développée dans nos possessions d’outre-mer. Cependant, les efforts de la Société n’ont pas été vains. Sans parler d’un certain nombre d’affaires en cours, trente personnes ont été expédiées aux colonies, où elles ont trouvé des situations avantageuses. C’est la Nouvelle-Calédonie et la Tunisie qui en ont absorbé le plus grand nombre, c’est-à-dire, contrairement à ce qu’on pouvait penser, les colonies où la proportion des femmes, par rapport aux hommes, est la plus nombreuse. La plupart des femmes que la Société a pu ainsi pourvoir ont été arrachées à des situations douloureuses, presque tragiques. Elles ont trouvé, dans les bureaux de la Société, où beaucoup entraient en tremblant, un accueil affectueux auquel les duretés de la vie ne les avaient point accoutumées. Aussi la reconnaissance déborde-t-elle dans les lettres qu’elles écrivent en cours de route ; de Marseille, où une collaboratrice dévouée de la Société les accompagne jusqu’à bord du bateau qui doit les emporter ; de Port-Saïd, leur première étape, d’où elles font naïvement part de la frayeur que leur a causée la mer ; enfin, du lieu de leur arrivée, où elles sont accueillies par des correspondantes de la Société, et immédiatement pourvues de la situation qui leur avait été promise, car la Société s’est fait une règle absolue de ne faciliter le départ d’aucune femme à qui une situation ne serait pas assurée à l’avance. Ainsi elle a pu opérer de véritables sauvetages. Ajoutons qu’à quelques-unes de ses protégées elle a su procurer en France des situations temporaires qui les aident à vivre, en attendant qu’un emploi à leur convenance leur soit trouvé aux colonies.

Sous le rapport charitable, la Société a donc fait déjà ses preuves. Contrairement à ce qui avait été dit, elle a trouvé une clientèle. À cette clientèle, elle a déjà rendu de signalés services. Mais en peut-elle rendre, dès à présent, aux colonies elles-mêmes ? Peut-elle, comme ses fondateurs l’ont espéré, contribuer à leur peuplement ? C’est là une autre question. Avec la même sincérité, je dirai ce que j’en pense.