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LE PEUPLE GREC.

de race, soit effet de l’éducation et de la tradition, le Grec moderne, comme l’ancien, est éminemment curieux ; de plus, il aime la discussion, il s’y montre subtil et fin. Son imagination, comme celle des anciens Grecs, est alerte et colorée ; il est spirituel ; il a, dans la parole, l’aisance et la faconde. Il naît avocat, comme le Circassien naît soldat. Edmond About, qui s’y connaissait, trouvait aux Grecs de l’esprit autant qu’à peuple au monde : il n’est, ajoute-t-il, « aucun travail intellectuel dont ils ne soient capables. » Les ouvriers, en quelques mois, deviennent aptes à un métier difficile. Taine, à son tour, nous montre un village tout entier, prêtre en tête, interrogeant et écoutant curieusement des voyageurs ; tous traits qui rappellent nos ancêtres galates comme leurs ancêtres grecs.

Un peuple aussi intellectuel ne pouvait manquer de s’ouvrir avec empressement à l’instruction moderne. Comment ne pas admirer cette soif de s’instruire si répandue on Grèce, ces villageois qui, malgré leur pauvreté, fondent des écoles, tiennent même « des classes en plein air » ; ces étudians qui, pour subvenir à leurs besoins pendant leurs études, exercent un métier, — sauf à être dégoûtés plus tard de toute occupation « non libérale » ; — l’initiative privée et les villes consacrant des sommes considérables à des fondations pour l’instruction publique, pour les sociétés savantes, les musées, les bibliothèques, les universités ?

En 1832, la Grèce n’avait que 75 écoles primaires élémentaires, 18 écoles primaires supérieures et 3 collèges. En 1892, elle comptait 2 400 écoles élémentaires ou professionnelles, 80 écoles privées, 300 écoles primaires supérieures, 5 écoles ecclésiastiques, 5 écoles normales, 5 écoles nautiques, une école supérieure pour les jeunes filles, 35 collèges, une école polytechnique, enfin une université, avec des élèves venus de toutes les rives de la mer Egée. 80 pour 400 des hommes et 23 pour 100 des femmes savent lire. En 1832, il n’y avait d’imprimerie grecque qu’à Constantinople, Corfou et Zante. Dès l’année 1878, la Grèce comptait 104 imprimeries et 80 libraires et avait publié 1 479 livres de 1807 à 1877. Cet heureux pays possède maintenant plus de 30 journaux et près de 30 revues. La langue française est enseignée partout en Grèce, concurremment avec le grec classique. Notre esprit, notre littérature, nos arts, notre éducation sont beaucoup plus en harmonie avec le génie grec que ne le seraient ceux des autres pays.