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LE PEUPLE GREC.

des temps malheureux. Les défauts traditionnels de la volonté grecque n’ont pu que s’augmenter par le mélange d’une forte quantité de sang slave et par la longue ; servitude que la nation a subie : légèreté, mobilité, horreur des grands efforts et surtout des efforts soutenus, propension à une paresse agitée et affairée, qui fait plus de bruit que de besogne. L’agriculture, chose trop pénible, est délaissée. Aimant mieux faire usage de son esprit que de ses bras, le Grec préfère le commerce, pour lequel d’ailleurs il a une grande aptitude. Outre des commerçans, la Grèce actuelle produit des banquiers, qui ne sont pas sans rappeler les qualités et les défauts des banquiers israélites ; elle produit des marins, des avocats et surtout des politiciens. Le plaisir suprême de ce peuple sobre, a-t-on dit, c’est de parler politique autour d’un verre d’eau, « depuis neuf heures du soir jusqu’à trois heures du matin ». Le Grec est le plus tempérant des Méridionaux ; il boit beaucoup, mais il boit de l’eau ; la nourriture d’un laboureur anglais suffirait en Grèce, dit About, à une famille de six personnes. Les anciens nous montraient déjà l’Athénien content d’une tête de poisson, d’un oignon, de quelques olives. Cette modération dans la manière de vivre subsiste encore aujourd’hui et constitue une des qualités de cette race, tempérante et frugale par nécessité autant que par habitude. Pour la chasteté comme pour la sobriété, le Grec l’emporte sur les autres Européens. La natalité illégitime est très faible en Grèce, 12 sur 1 000 et, dans les campagnes, presque zéro. L’opinion est d’ailleurs très sévère à cet égard : le mariage s’impose au séducteur sous peine de meurtre. On ne badine pas avec l’amour[1].

La sensibilité grecque, comme celle de tous les Méridionaux, est éminemment irritable : éternelles sont les rancunes, terrible la vendetta. Sous ce rapport, Grecs, Siciliens, Napolitains, Corses et Espagnols se ressemblent. C’est un trait de la race ibéro-ligure. L’humeur du Grec n’en est pas moins enjouée ; il aime les plaisirs faciles et qui viennent sans effort, la douce fuite des heures légères. À un voyageur qui lui demandait le pourquoi de ses occupations, un Grec répondit : L’heure passe[2]. L’Hellène est passionné pour la musique, la danse, les fêtes. Ses rapsodes

  1. La natalité en général est élevée, quoique inférieure à celle de la Russie et de l’Allemagne. La mortalité est faible, 20 p. 1 000. Seuls les pays Scandinaves offrent des chiffres aussi favorables.
  2. M. Gaston Deschamps, la Grèce d’aujourd’hui.