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discernement des aptitudes et la culture offerte à toutes, la démocratie ne peut éviter de faire des demi-savans, des raisonneurs dévoyés, des utopistes creux, en un mot des ignorans présomptueux. C’est la rançon de l’affranchissement, mais il y faut remédier par un traitement préventif de l’orgueil, par une hygiène morale appropriée, qui relève de l’éducation. Chez la jeune clientèle de notre enseignement secondaire et supérieur, l’intelligence trouve son aliment complet dans des programmes d’études si copieux même que le plus souvent ils la dépassent, et par-là, comme je viens de le dire, offrent un remède efficace à la présomption. Aussi cette jeunesse, en général, apporte-t-elle dans le service militaire une déférence résignée à la compétence du sergent. Au peloton d’exercice, loin de s’offenser, elle sourit de ses martiales invectives. Chez les prolétaires, il ne peut pas y avoir autant de boursiers que de pauvres, et l’enseignement primaire laisse un grand nombre de jeunes gens d’intelligence au-dessus du médiocre incomplètement élevés, dont, plus tard, des lectures mal choisies pervertissent les mœurs et faussent l’esprit sans critique et trop confiant en soi-même. Ceux-là ne fournissent à l’armée que des recrues indociles, réfractaires à la discipline et d’une influence pernicieuse sur leurs camarades des campagnes, auparavant moins exposés à la contagion de la suffisance par des travaux solitaires et accablans. La mission de l’instituteur à cet égard est très importante : il lui appartient de suppléer par l’action morale à l’absence du frein intellectuel que j’ai signalé. Tout en démontrant à ses élèves l’utilité de ses leçons pour conquérir l’aisance, il ne leur en doit pas dissimuler les profondes lacunes, la courte portée et les étroites limites ; il doit leur faire sentir qu’il leur faudrait savoir infiniment plus pour être aptes à tout critiquer et les mettre en garde contre ceux qui jugent de tout sans compétence. Il doit enfin leur donner de la patrie une idée saine et leur en inspirer l’amour, afin de les habituer aux exigences sociales et de les préparer à la défense des intérêts communs, même au prix de la vie.

Assurément, ce n’est pas peu demander aux jeunes gens, à ces nouveaux venus sur la terre, nés heureux ou malheureux, mais dont l’âme est spontanément ouverte à toutes les espérances que leur âge autorise. Aussi, pour leur faciliter l’abnégation, importe-t-il de l’appuyer par les plus puissans mobiles. L’appât des galons, le prestige de la gloire, la haine de l’ennemi, depuis que le service