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maudire tout haut sa férocité originelle tout en bénissant tout bas sa mission protectrice, à lui reprocher la brutalité et la maladresse de ses manières tout en se blottissant entre ses pattes puissantes, à tenter de l’émasculer tout en exigeant le bienfait de sa force, à l’humilier enfin tout en lui confiant la défense de l’honneur national.

Il serait contradictoire, à plus forte raison, de concéder, d’imposer même le huis-clos aux tribunaux de droit commun en matière de mœurs, pour la sauvegarde de la pudeur nationale, et de l’interdire aux conseils de guerre qui ont souci de sauvegarder la pudeur internationale en matière d’espionnage, pratique regrettable sans doute, mais périlleuse et nécessaire. Là encore, le caractère sauvage et, partant, immoral de la guerre, que malheureusement la nation même la plus policée est contrainte d’absoudre pour son salut, a sa répercussion inévitable. Il faut souffrir ce qu’on ne peut empêcher et en accepter les conséquences.

Je sens l’insuffisance de ce travail. Je n’ai pas la ridicule ambition de l’assimiler aux profondes études, aux recherches minutieuses d’un légiste compétent, également versé dans les connaissances pratiques et dans la science du droit. Je croirais néanmoins n’avoir pas perdu mon encre et mon temps si seulement ma modeste contribution à l’examen du problème de la discipline militaire en avait fait pressentir au lecteur l’extrême et périlleuse complexité. Je verrais en tremblant y proposer des solutions hâtives, improvisées dans l’ardeur d’une polémique passionnée.


V

Les questions que je viens d’agiter font songer aux conditions étranges, contradictoires, des peuples modernes. Grâce à l’avancement des sciences, dont l’industrie ne cesse d’utiliser les découvertes, l’humanité prend possession de sa planète avec une puissance croissante et s’y installe de jour en jour avec plus de confort et de luxe ; les besoins en même temps se multiplient et se compliquent. Pour les satisfaire, un réseau de communications innombrables et promptes entre tous les peuples procure à chacun d’eux les matières premières dont il manque et ouvre à ses produits des débouchés. Mais la subsistance et la prospérité sont mises par-là pour chacun à la merci des autres. L’avantage qu’ils trouvent respectivement à étendre leur territoire, à s’annexer des