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en revenir à reconnaître que la guerre n’est pas seulement persistante, mais qu’elle demeure foncièrement féroce, en dépit des meilleures intentions de la civiliser.

Cette triste vérité entraîne des conséquences peu favorables au noble vœu de la réconcilier avec la liberté et l’égalité démocratiques.


IV

En ce qui touche la sanction pénale de la discipline, il importe de distinguer avec soin la peine édictée, légale, de son effet sur la sensibilité tant morale que physique du délinquant, en un mot de la peine ressentie par lui, la seule efficace. Or la même peine légale est aujourd’hui plus redoutable qu’autrefois pour le militaire récalcitrant. Il n’est plus nécessaire de sévir contre lui par des moyens aussi énergiques pour lui causer la même crainte et, par suite, obtenir la même obéissance. A ce point de vue, il n’y a pas d’inconvénient à ce que les peines légales aient été atténuées, parce que, chacune d’elles tendant à être plus vivement ressentie, la discipline est en réalité demeurée aussi sévère.

S’il en est ainsi, est-il opportun d’en diminuer davantage la rigueur ? Ne risquerait-on pas de les rendre moins efficaces pour assurer l’exécution du commandement ? La question est complexe et périlleuse. D’une part, sans doute, en France la sensibilité humaine s’est accrue moralement et physiquement par une conscience plus réfléchie de la dignité individuelle et par une plus grande irritabilité des nerfs due à des excitations nouvelles de tous genres ; ce qui permettrait d’atténuer les peines légales sans en compromettre l’indispensable sévérité ; mais, d’autre part, l’influence des mœurs démocratiques sur les volontés travaille à les émanciper par la discussion des devoirs et la revendication des droits, à les rendre moins dociles, moins capables de se contraindre elles-mêmes et moins encore en humeur de tolérer une contrainte extérieure ; ce qui met la discipline en demeure de serrer ses freins, de ne se relâcher en rien et même de devenir plus sévère. Elle le devient en réalité, sans qu’on ait à accroître les peines légales qui la sanctionnent ; il suffit de les maintenir telles qu’on a coutume de les appliquer. Elle le devient précisément parce que, dans un État démocratique, la double sensibilité chez l’individu augmente en même temps