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guère le peindre autrement. Je veux simplement dire qu’il y a des peintures qui ne me touchent plus à l’âge que j’ai, qui me paraissent inutiles ou qui même me dégoûtent… On emporte de ces cinq actes une impression de basse humanité vraiment accablante. (Je le dis d’autant plus librement que je suis sûr, en le disant, de ne faire aucun tort à la pièce, mais plutôt d’y envoyer du monde.)

Je n’ignore pas, d’autre part, qu’une des façons de renouveler, si c’est possible, « l’histoire de la courtisane amoureuse » (en supposant qu’il soit absolument nécessaire de la renouveler), c’est d’en changer le « milieu ». Toutefois, je souhaiterais que les auteurs l’eussent choisi un peu moins bas, car vous ne trouverez, au-dessous, que la maison Tellier. Mais, au reste, je constate avec équité que, plus le « milieu » est bas, et mieux Mme Réjane y déploie son immense talent. Elle a été, dans Zaza, tout bonnement admirable. Le seul moyen qui lui restât de nous paraître plus admirable encore, c’eût été de nous laisser respirer de temps en temps et de nous laisser entendre un peu ses camarades.

Car M. Huguenet, entre autres, est vraiment bien bon à entendre et à voir. Dans le rôle de Cascart (le moins banal de la pièce), avec sa lourde face romaine de bel homme rasé et son triangle de cheveux luisans et plats entre les yeux, il est, de pied en cap, le chanteur de café-concert, le chanteur avantageux et gras ; et, en même temps que l’extérieur et l’allure du personnage, il en exprime avec plénitude l’âme molle et paisible, l’expérience toute spéciale et qui ne saurait avoir d’étonnemens, le doux cynisme totalement inconscient, cordial, bonhomme, et dont la bassesse n’admet pas un grain de méchanceté. Oui, il est bien le « moraliste » de cette pièce-là. Nommons aussi, avec M. Magnier, adroit dans son rôle ingrat, Mmes Daynes-Grassot, Mégard, Carlix, Duluc, et MM. Thorin, Lagrange, Galipaux, Peutat, apparitions fugitives et diversement aimables.

Telle qu’elle est, Zaza est une pièce amusante, au sens un peu humble du mot, mais enfin amusante. Elle est redevable à M. Porel d’une mise en scène vivante et ingénieuse, et à M. Jusseaume de deux décors pittoresques et divertissans : le premier et le dernier.


Passons au théâtre Antoine. — La pièce de M. Abraham Dreyfus, les Amis, refusée par le comité de lecture du Théâtre-Français, est une comédie plus qu’aimable, d’un dialogue souple et gai et d’une observation, à mon avis, très finement pénétrante.

Gilard, haut fonctionnaire retraité, vit à Montargis avec son excellente femme. Il est inquiet, grincheux, amer. Il souffre de sa retraite