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l’amour du travail tranquille et discret, sont, toute exception faite, l’armée, l’université et le clergé.

Plein d’égards pour nos vertus, indulgent pour nos défauts, M. Bodley traite avec une implacable sévérité notre gouvernement et nos gouvernans, et s’il y a une France qu’il respecte et qu’il aime, ce n’est pas la France politique. Il lui a suffi de regarder autour de lui pour s’assurer que la morale professée et pratiquée par l’immense majorité de la nation est infiniment supérieure à celle de nos politiciens, que, dans le pays des pères de famille industrieux et économes et des impeccables ménagères, le ménage de l’État est en proie au désordre et à la confusion.

On nous a accusés d’avoir, dans les temps troublés, un tempérament bouillant, de redoutables effervescences, des accès de brutalité, de férocité, des instincts violens et destructeurs. Mais dans l’habitude de la vie, dit M. Bodley, il n’est pas de créatures humaines aussi bien ordonnées, aussi méthodiques que les Français : « Leur économie, le soin qu’ils apportent à tenir leurs comptes, leur habileté à organiser des plaisirs simples qui leur font oublier leurs fatigues, la toilette de leurs femmes, les formes observées par les humbles eux-mêmes dans leurs repas, tout atteste que ce peuple prévoyant et systématique s’accommode mal des improvisations hâtives. Il en va de même de leur façon de penser. Ils sont accoutumés à classer et à formuler leurs idées, et leur éducation nationale à tous ses degrés favorise cette tendance. Un prêtre anglais, attaché jadis au diocèse de Paris, me disait un jour combien il avait été frappé du contraste qu’offraient dans les deux pays les confessions qu’il avait reçues de jeunes filles, à l’âge où ce sacrement n’est pas encore une révélation psychologique ou une pratique dont on s’acquitte par routine. La jeune pénitente anglaise lui débitait une histoire fort embrouillée, qui n’avait ni commencement, ni milieu, ni fin. La jeune Française développait un thème tranquillement préparé, modèle d’ordonnance lumineuse, où tous les détails étaient rangés en bon ordre et catégoriquement classés. »

Ce même caractère, cet esprit d’ordre et de méthode, poussé jusqu’à la minutie, se retrouve dans toutes les hiérarchies officielles, administratives, ecclésiastiques, militaires, judiciaires où s’incarne le génie de la nation, et qui fonctionnent le mieux qu’elles peuvent, « côte à côte avec une république parlementaire, dont tous les présidens ont abdiqué, sauf celui qui a été assassiné, et dans laquelle un ministre qui conserve un an son portefeuille est une curiosité. » Ces hiérarchies, où le génie national a mis son empreinte, portent aussi la marque de